ARCHIVÉ – Décision de radiodiffusion et de télécom CRTC 2015-26

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Référence au processus : Demandes de la Partie 1 affichées le 22 novembre 2013 et le 10 janvier 2014

Ottawa, le 29 janvier 2015

M. Benjamin Klass, et l’Association des consommateurs du Canada, le Council of Senior Citizens’ Organizations of British Columbia et le Centre pour la défense de l’intérêt public

Demandes 2013-1664-6 et 2014-0013-4
Numéros de dossiers : 8622-B92-201316646 et 8622-P8-201400134

Plainte contre Bell Mobilité inc. et Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. alléguant une préférence et un désavantage indus et déraisonnables concernant les pratiques en matière de facturation de leurs services de télé mobile Télé mobile de Bell et illico.tv

Le Conseil conclut que Bell Mobilité inc. (Bell Mobilité) et Québecor Média inc., Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. (collectivement appelées Vidéotron), contreviennent au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications en exemptant leurs services de télé mobile Télé mobile de Bell et illico.tv des frais d’utilisation de données. Le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications interdit aux entreprises canadiennes de faire subir un désavantage indu à quiconque, ou d’accorder une préférence indue à elles-mêmes ou à quiconque. Bell Mobilité et Vidéotron accordent une préférence indue aux abonnés de leurs services de télé mobile respectifs, ainsi qu’envers leurs propres services, et font subir aux consommateurs d’autres services de contenu audiovisuel et d’autres services un désavantage de même nature.

À la lumière de ce qui précède, le Conseil ordonne à Bell Mobilité de supprimer sa pratique illégale quant aux frais d’utilisation de données liés à son service de télé mobile, et ce, au plus tard le 29 avril 2015.

De plus, le Conseil ordonne à Vidéotron de confirmer au plus tard le 31 mars 2015 qu’elle a complété, le 31 décembre 2014, le retrait prévu de l’application illico.tv des téléphones Blackberry et Android, supprimant ainsi toute préférence indue à l’égard de son service de télé mobile, et de garantir que tout nouveau service de télé mobile soit assujetti aux conclusions énoncées dans la présente décision.

La présente décision encouragera un marché ouvert et non discriminatoire pour les services de télé mobile, ce qui favorisera l’innovation et l’offre de choix aux Canadiens. Le Conseil soutient grandement le développement de nouveaux moyens grâce auxquels les Canadiens pourraient accéder à du contenu audiovisuel canadien et étranger. Cependant, les fournisseurs de services mobiles ne peuvent y contribuer tout en contrevenant à la Loi sur les télécommunications.

L’opinion concurrente du conseiller Raj Shoan est jointe à la présente.

Demandes

  1. M. Benjamin Klass a déposé une demande relative aux pratiques en matière de facturation de Bell Mobilité inc. (Bell Mobilité) à l’égard de son service Télé mobile de Bell (demande 2013-1664-6; numéro de dossier 8622-B92-201316646). Par la suite, l’Association des consommateurs du Canada, le Council of Senior Citizens’ Organizations of British Columbia et le Centre pour la défense de l’intérêt public (collectivement appelés PIAC et al.) ont déposé une demande relative aux pratiques en matière de facturation de Québecor Média inc. (Québecor), Vidéotron ltée et Vidéotron s.e.n.c. (collectivement appelées Vidéotron) à l’égard du service de télé mobile illico.tv de Vidéotron (demande 2014-0013-4; numéro de dossier 8622-P8-201400134)Note de bas de page 1. Aux fins d’interprétation de la présente décision, le terme « demandeurs » renvoie à M. Klass et à PIAC et al., alors que l’expression « services de télé mobile » renvoie à Télé mobile de Bell et à illico.tv.
  2. Les demandeurs s’opposent à la pratique de Bell Mobilité et de Vidéotron d’exempter les services de télé mobile des limites standards d’utilisation mensuelle de données et des frais d’utilisation de ces dernières (ci-après appelés collectivement les « frais d’utilisation de données »), qui s’appliquent généralement à leurs services sans fil. Ils demandent que le Conseil interdise à Bell Mobilité et à Vidéotron d’exempter leurs services de télé mobile des frais d’utilisation de données, parce que cette pratique leur procure un avantage injuste, accorde une préférence indue à leurs services de télé mobile et fait subir une discrimination indue à leurs clients de services sans fil qui consomment des services vidéo en ligne mobile, ainsi qu’aux concurrents de Bell Mobilité et de Vidéotron, le tout en contravention du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications et, selon M. Klass, de l’article 24 de cette loi, lesquels se lisent comme suit :

24. L’offre et la fourniture des services de télécommunication par l’entreprise canadienne sont assujetties aux conditions fixées par le Conseil ou contenues dans une tarification approuvée par celui-ci.

27.(2) Il est interdit à l’entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l’imposition ou la perception des tarifs y afférents, d’établir une discrimination injuste, ou d’accorder - y compris envers elle-même - une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.

  1. M. Klass estime aussi que les frais d’utilisation de données constituent une pratique de gestion du trafic Internet (PGTI) de nature économique propre à une application et il demande que le Conseil interdise le recours à une PGTI propre à une application afin d’accorder un accès préférentiel indu aux services de télé mobile.

Historique

  1. Les services de télé mobile sont disponibles à partir d’appareils mobiles grâce à des applications (c.-à-d. des applications logicielles mobiles) développées par Bell Mobilité et Vidéotron (pour les téléphones Android et Blackberry dans le cas de Vidéotron). Ces services offrent un ensemble de contenu de radiodiffusion : ils offrent surtout la diffusion sur Internet en continu de stations de télévision et d’autres services de programmation de télévision connexes, comprenant l’accès au contenu d’une banque limitée de vidéos sur demande.
  2. Le choix des services de télévision offert par ces services de télé mobile varie. Les clients de Bell Mobilité ont davantage de choix de services de télévision s’ils sont également des clients de Bell Télé Fibe ou de Bell Express Vu. Pour ce qui est de Vidéotron, seuls les clients abonnés au câble peuvent avoir accès au service de télé mobile. Vidéotron décide des chaînes auxquelles les clients ont accès, selon leur adresse de facturation et qu’ils soient abonnés ou non à ces chaînes dans le cadre de leur abonnement au câble.
  3. Afin d’accéder aux services de télé mobile à partir d’un appareil mobile, un abonné doit aussi souscrire soit à un forfait de service de voix sans fil, soit à un forfait d’utilisation de données, ou encore à un forfait tablette. En ce qui concerne la Télé mobile de Bell, l’abonné doit souscrire à un service de Bell Mobilité ou de l’une de ses affiliées comme Virgin Mobile. L’utilisation des données lors de l’accès aux services de télé mobile, que ce soit par les réseaux mobiles de Bell MobilitéNote de bas de page 2 ou de Vidéotron, n’est l’objet d’aucuns frais de données sans fil de ces fournisseurs de services, aux conditions suivantes :
    • Bell Mobilité exige de ses abonnés 5 $ par mois pour accéder au service sur leurs appareils mobiles, ce qui comprend jusqu’à dix heures de contenuNote de bas de page 3. Cela coûte 3 $ pour toute heure additionnelle.
    • Vidéotron exige de ses abonnés 5 $ par mois pour cinq heures de contenu, 10 $ par mois pour 15 heures de contenu et 15 $ par mois pour 30 heures de contenu; dans tous ces forfaits, il en coûte 1,50 $ pour toute heure additionnelle. Ces tarifs de Vidéotron ne s’appliquaient qu’aux téléphones Android et Blackberry lorsque PIAC et al. ont déposé leur demande.

Instance

  1. Les parties suivantes ont participé à la présente instance : le Consortium des Opérateurs de Réseaux Canadiens Inc., Bragg Communications Incorporated, la Société TELUS Communications, Vaxination Informatique, la Clinique d’intérêt public et de politique d’Internet du Canada Samuelson-Glushko, l’Université York, Bell Mobilité, Québecor, au nom de son affiliée Vidéotron s.e.n.c., différents particuliers de même que M. Klass ainsi que PIAC et al. En plus de leurs commentaires, Bell Mobilité et Vidéotron ont déposé des réponses aux interrogatoires écrits envoyés par le personnel du Conseil. On peut consulter sur le site web du Conseil le dossier public de l’instance, sur lequel le Conseil fonde ses présentes décisions. On peut y accéder à l’adresse www.crtc.gc.ca ou en utilisant les numéros de dossiers ci-dessus.

Questions

  1. Après avoir examiné l’ensemble du dossier public de la présente instance, le Conseil estime que les questions à traiter sont les suivantes :
    • Bell Mobilité et Vidéotron fournissent-elles des services de télécommunication et agissent-elles à titre d’entreprises canadiennes quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles des abonnés?
    • Si Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles des abonnés, contreviennent-elles alors aux règles du Conseil relatives aux PGTI, comme le prétendent les demandeurs?
    • Si Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles des abonnés, contreviennent-elles alors au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications, comme le prétendent les demandeurs?

Bell Mobilité et Vidéotron fournissent-elles des services de télécommunication et agissent-elles à titre d’entreprises canadiennes quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles des abonnés?

  1. La Loi sur les télécommunications s’applique à la fourniture de services de télécommunication par des entreprises canadiennes et, à certains égards, à d’autres fournisseurs de services de télécommunicationNote de bas de page 4. L’article 4 de la Loi sur les télécommunications prévoit que la Loi sur les télécommunications ne s’applique pas aux entreprises de radiodiffusion pour tout ce qui concerne leurs activités de radiodiffusion, parce qu’elles sont assujetties à la Loi sur la radiodiffusion.
  2. La question clé de la présente instance est de savoir si, quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles de l’utilisateur final, Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication et sont par conséquent assujetties à la Loi sur les télécommunications et aux politiques qui en découlent.
Positions des parties
  1. M. Klass a prétendu que le moyen par lequel Télé mobile de Bell est acheminé aux clients constitue un service de télécommunication assujetti à la Loi sur les télécommunications et aux règles afférentes. Il a allégué que Télé mobile de Bell est accessible et fourni grâce aux mêmes installations de télécommunication qu’utilisent les clients de Bell Mobilité pour accéder à tout autre service vidéo en ligne, à un service Internet ou à un service de télécommunication sur leurs appareils mobiles; de plus, selon lui, Bell Mobilité n’a pas contredit ces affirmations dans les déclarations déposées au dossier. M. Klass a ajouté que la distinction entre les « services offerts par l’entremise d’Internet » et la « distribution point à point » est inexistante aux yeux des consommateurs qui accèdent à du contenu sur leurs appareils mobiles. De ce point de vue, Télé mobile de Bell ne fonctionne pas différemment de tout autre service mobile doté d’une connexion Internet.
  2. Vidéotron a allégué qu’un service de télé mobile est un service de radiodiffusion parce qu’il offre à ses abonnés du contenu télévisuel et qu’il est donc exempté en vertu de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de médias numériques (l’Ordonnance d’exemption)Note de bas de page 5. Bell Mobilité a plaidé qu’en fournissant son service de télé mobile, elle exploite une entreprise de radiodiffusion aux termes du paragraphe 2.b) de l’Ordonnance d’exemption. En outre, selon elle, en vertu de l’article 4 de la Loi sur les télécommunications, ladite loi ne s’applique pas en l’espèce; par conséquent, lorsqu’elle offre et fournit Télé mobile de Bell, elle n’est pas assujettie à la Loi sur les télécommunications. Elle ajoute que le Conseil ne peut appliquer le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications aux services de télé mobile, parce que ce paragraphe vise la fourniture d’un service de télécommunication par une entreprise canadienne. À son avis, lorsqu’elle offre son service de télé mobile, elle n’agit pas à titre d’entreprise canadienne, mais plutôt à titre d’entreprise de distribution de radiodiffusion (EDR). Ainsi, son service de télé mobile n’est pas un service de télécommunication.
  3. Bell Mobilité a déclaré qu’à la différence d’un fournisseur de service Internet (FSI) qui n’est aucunement impliqué dans le contenu qu’il distribue, elle acquiert auprès des titulaires de droits d’auteur concernés les droits de programmation nécessaires pour la distribution sans fil des émissions sur son service de télé mobile. Elle a notamment affirmé qu’indépendamment que les abonnés détiennent ou non un forfait d’utilisation de données sans fil, elle active ou désactive l’abonnement d’un client simplement en vendant ou en annulant la souscription au service de télé mobile. Bell Mobilité allègue que, par opposition aux applications qui établissent une connexion à des services vidéo par Internet, son application de télé mobile lance, grâce à une technologie point à point, une EDR accessible sur des appareils mobiles.
  4. Selon Bell Mobilité, elle agit, d’une part, à titre d’entreprise de radiodiffusion lorsqu’elle offre Télé mobile de Bell et, d’autre part, à titre d’entreprise canadienne qui offre un service de télécommunication lorsqu’elle fournit une connexion sans fil qui permet à ses abonnés de visionner des émissions sur leurs appareils mobiles.
Analyse et décision du Conseil
  1. Le Conseil estime que Bell Mobilité et Vidéotron, lorsqu’elles acquièrent les droits de distribution sur plateforme mobile du contenu offert sur leurs services de télé mobile en regroupant le contenu devant être diffusé, et en assemblant et mettant en marché ces services, exercent alors des activités de radiodiffusion. À cet égard, il note qu’aucune partie à la présente instance ne doute que des services de télé mobile sont des services de radiodiffusion au sens de l’Ordonnance d’exemption.
  2. De plus, le Conseil estime, et personne ne le conteste, que Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes lorsqu’elles fournissent à leurs abonnés un accès à Internet et à d’autres services de voix et de données. Plus particulièrement, en accord avec les commentaires de Bell Mobilité, le Conseil estime que cette dernière et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent un service de télécommunication lorsqu’elles offrent la connectivité de données sans fil grâce à laquelle les abonnés peuvent visionner les services de programmation sur Internet. En outre, il estime que les rôles que jouent Bell Mobilité et Vidéotron à titre d’entreprises canadiennes fournissant une connectivité de données sans fil et transmettant les services qui permettent aux abonnés d’accéder à du contenu sur des appareils mobiles ne se transforment pas nécessairement en des rôles d’entreprise de distribution uniquement parce qu’elles sont impliquées dans le contenu. Il faut plutôt examiner les faits dans chaque cas en vue de déterminer la véritable nature des services offerts.
  3. Le Conseil conclut que Bell Mobilité et Vidéotron utilisent leurs réseaux d’accès sans fil respectifsNote de bas de page 6 pour transmettre leurs services de télé mobile de leurs serveurs jusqu’aux appareils mobiles de leurs abonnés. Or, il s’agit des mêmes réseaux qui servent à la distribution de leurs services de télécommunication de voix et de données sans fil, lesquels sont clairement des services de télécommunication assujettis à la Loi sur les télécommunications. Qui plus est, le trafic de ces services est présentement traité de la même manière que le reste du trafic des réseaux d’accès sans fil de Bell Mobilité et de Vidéotron. Selon les commentaires tant de Bell Mobilité que de Vidéotron, le chemin des données est le même, que l’abonné de Télé mobile de Bell ou d’illico.tv adhère à un forfait de service de voix, de données ou de tablette sans fil.
  4. De plus, compte tenu des descriptions des réseaux fournies par Bell Mobilité et par Vidéotron, le Conseil conclut que les activités qu’exercent Bell Mobilité et Vidéotron afin d’établir la connectivité de données et de fournir le transport jusqu’à leurs réseaux d’accès sans fil sont les mêmes, que le contenu transmis soit celui de leurs services de télé mobile, d’autres services de radiodiffusion ou encore de services autres que de radiodiffusion. Et ce, parce que l’objectif de ces activités est d’établir la connectivité de données et de transmettre le contenu, peu importe le contenu lui-même.
  5. Comme l’a fait valoir M. Klass, du point de vue d’un abonné, les services de télé mobile sont accessibles et distribués à des conditions substantiellement semblables à celles d’autres services de télécommunication par Internet. Toujours selon M. Klass, le consommateur a accès à son service de télé mobile sur son appareil mobile de la même façon qu’il accède à d’autres applications.
  6. Les abonnés à des services de télé mobile ont besoin d’une connectivité de données, qu’ils aient ou non un forfait d’utilisation de donnéesNote de bas de page 7. Cette connectivité de données est nécessaire afin de confirmer que l’usager final est bien abonné à un service de télé mobile et de transporter le contenu jusqu’à l’appareil mobile de cet usager.
  7. En l’espèce, la connectivité de données nécessaire pour accéder aux services de télé mobile ne peut être établie que si un abonné obtient un service de télécommunication auprès de Bell Mobilité ou de Vidéotron. Pour ce qui est de Bell Mobilité, seul un utilisateur final abonné à un forfait de service de voix, de données ou de tablette mobile sans fil de Bell Mobilité (ou de l’une de ses affiliées) peut s’abonner au service de télé mobile de Bell Mobilité. Dans le cas de Vidéotron, un client doit souscrire à un service de voix sans fil mobile pour utiliser l’application. Ainsi, c’est le forfait de service de voix, de données ou de tablette sans fil d’un abonné qui sert de base à partir de laquelle on confirme que l’utilisateur final est bien un abonné et qui permet à ce dernier de se connecter au réseau. Comme on l’a noté ci-dessus, la connectivité de données nécessaire permet à cet utilisateur final d’accéder au contenu des services de télé mobile.
  8. À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil conclut que Bell Mobilité et Vidéotron fournissent des services de télécommunication au sens de l’article 2 de la Loi sur les télécommunications et qu’elles agissent à titre d’entreprises canadiennes lorsqu’elles fournissent la connectivité de données et le transport nécessaires pour distribuer Télé mobile de Bell et illico.tv, respectivement, jusqu’aux appareils mobiles de leurs abonnés. À cet égard, elles sont assujetties à la Loi sur les télécommunications. Tel est le cas, que des services de radiodiffusion concomitants soient également offerts ou non.
  9. Le fait que le transport d’un service de télé mobile constitue un service de télécommunication est encore plus évident lorsqu’on prend en considération la disponibilité du service de télé mobile de Bell Mobilité via Wi-Fi. Lorsqu’un abonné accède au service de télé mobile de Bell Mobilité sur un réseau Wi-Fi (public, par exemple dans un restaurant ou un café, ou privé, comme à son domicile), le contenu est transmis sur Internet par un autre fournisseur de service de télécommunication (FST) jusqu’à l’appareil mobile de l’utilisateur final. Le réseau d’accès sans fil de Bell Mobilité n’est donc pas mis à contribution.
  10. Selon le Conseil, de la même manière qu’un FST fournit un service de télécommunication lorsqu’il transmet via Wi-Fi le service de télé mobile auquel un abonné a accès, Bell Mobilité fournit aussi un service de télécommunication lorsqu’elle assure le transport et la connectivité de données de sorte que le service de télé mobile se rende jusqu’aux appareils mobiles de ses abonnés.
  11. Le Conseil rejette donc les arguments de Bell Mobilité et de Vidéotron selon qui le redressement demandé en vertu de la Loi sur les télécommunications devrait être rejeté parce qu’elles ne sont pas assujetties à ladite loi. L’article 4 de la Loi sur les télécommunications ne peut servir de bouclier contre l’application de la Loi sur les télécommunications dans le présent cas étant donné que Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes en fournissant les services de transport et de connectivité de données requis pour le transport de leurs services de télé mobile, tel qu’il en a été débattu ci-dessus. Le Conseil examine donc ci-dessous les demandes de M. Klass et de PIAC et al. concernant le respect des règles du Conseil relatives à la PGTI et recherchant un redressement en vertu des pouvoirs octroyés par la Loi sur les télécommunications en vue d’empêcher l’exercice d’une discrimination injuste ou encore d’une préférence ou d’un désavantage indu ou déraisonnable.

Lorsqu’elles agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles de leurs abonnés, Bell Mobilité et Vidéotron contreviennent-elles aux règles du Conseil sur la pratique de gestion du trafic Internet?

  1. Les FSI se servent des PGTI pour éviter la congestion de leurs réseaux; on peut citer comme exemple le lien établi entre le tarif et la consommation. Dans la politique réglementaire de télécom 2009-657, le Conseil a énoncé un cadre relatif aux PGTI, assorti d’une approche claire et structurée, permettant d’évaluer si les PGTI actuelles ou futures sont conformes au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications.
Positions des parties
  1. M. Klass allègue que Bell Mobilité propose deux limites d’utilisation de données différentes, l’une réservée au service de télé mobile et l’autre s’appliquant au reste du trafic Internet. Il qualifie l’exemption accordée par Bell Mobilité à son service de télé mobile de PGTI de nature économique propre à une application, fixée à 10 heures de visionnement par mois, et il note que la deuxième limite d’utilisation de données varie selon le plan de tarification offert par l’opérateur. À son avis, le tarif de 5 $ exigé des clients pour avoir accès au service de télé mobile de Bell Mobilité constitue une PGTI substantiellement moindre que celle s’appliquant au reste du trafic Internet.
  2. Un particulier intervenant à l’instance fait valoir que le tarif à l’heure ou celui basé sur l’utilisation de données sont des PGTI de nature économique qui servent à gérer l’utilisation d’Internet en exigeant des consommateurs un tarif correspondant dans une certaine mesure à leur consommation.
  3. Bell Mobilité prétend que son service de télé mobile ne constitue pas une PGTI et qu’il n’a jamais été conçu comme une mesure de gestion du trafic Internet. Elle conteste que le tarif mensuel de 5 $ exigé pour dix heures de visionnement soit une PGTI arguant qu’il s’agit du tarif s’appliquant à un service de télévision transmis sur un réseau d’accès mobile sans fil.
  4. Vidéotron a également soutenu qu’un modèle de facturation ne constitue pas nécessairement une PGTI. Tout en notant qu’il existe plusieurs modèles de facturation ayant leurs propres caractéristiques, elle a fait valoir que sa pratique est claire et facile à comprendre. Elle a ajouté que les différences entre les modèles de facturation ne donnent pas nécessairement lieu à une discrimination injuste ou à une préférence indue, surtout si le service en question est offert dans un contexte expérimental.
Analyse et décision du Conseil
  1. Les entreprises de sans fil peuvent se servir des PGTI en vue de gérer le trafic et éviter une possible congestion de leurs réseaux. Les tarifs d’utilisation de données liés à la connectivité des données ou au transport des services de télé mobile de Bell Mobilité et de Vidéotron pourraient constituer une forme de PGTI de nature économique; cela étant, ils pourraient être établis de manière à gérer le trafic.
  2. Le Conseil estime cependant que les présents tarifs d’utilisation de données sont destinés à encourager la consommation de services de télé mobile sur des appareils mobiles plutôt qu’à éviter une possible congestion.
  3. Qui plus est, il n’existe aucune preuve que Bell Mobilité ou Vidéotron se servent de quelque PGTI de nature technique liée au transport des services de télé mobile. À cet égard, Vidéotron déclare que, même si elle a déjà accordé une priorité au contenu d’illico.tv sur son réseau, elle a cessé cette pratique.
  4. À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil est d’avis que, pour ce qui est du transport et de la connectivité de données de leurs services de télé mobile respectifs, Bell Mobilité et Vidéotron ne se servent d’aucune PGTI relevant du présent cadre du Conseil sur les PGTI. Par conséquent, elles ne contreviennent pas aux règles du Conseil sur les PGTI.

Lorsqu’elles agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles de leurs abonnés, Bell Mobilité et Vidéotron contreviennent-elles au paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications?

  1. À la lumière de sa conclusion selon laquelle Bell Mobilité et Vidéotron agissent à titre d’entreprises canadiennes qui fournissent des services de télécommunication quant au transport de leurs services de télé mobile jusqu’aux appareils mobiles des abonnés et qu’elles sont ainsi assujetties à la Loi sur les télécommunications et aux politiques qui en découlent, le Conseil doit déterminer si, en ce faisant, elles contreviennent au paragraphe 27(2) de ladite loi.
Positions des parties
  1. Les demandeurs et intervenants en leur faveur font valoir que Bell Mobilité et Vidéotron accordent une préférence indue à leurs propres services de télé mobile, et font donc subir un désavantage indu à leurs concurrents. Plus précisément, ils ont soutenu que les données des services de télé mobile ont des tarifs d’utilisation de données relativement bas et sont exemptées de limites d’utilisation de données. Ils ont aussi affirmé que ces opérateurs mettent à profit leurs canaux de distribution pour fournir à leurs propres applications à haute consommation de données des avantages significatifs qu’aucune autre application à haute consommation de données ne peut concurrencer.
  2. Certaines parties font valoir que Bell Mobilité et Vidéotron favorisent indûment les abonnés de leurs propres services de télé mobile et désavantagent indûment d’autres abonnés qui doivent payer des frais d’utilisation considérablement plus élevés pour accéder aux services des entreprises concurrentes de radiodiffusion de médias numériques. À cet égard, certaines parties remarquent que les clients sont facturés jusqu’à 800 % de plus pour la consommation de toute autre forme de vidéo et de données sur Internet. En ce qui a trait au service Télé mobile de Bell, M. Klass note qu’actuellement les abonnés ont deux options pour regarder, au cours d’un mois donné, 10 heures de programmation de la Société Radio-Canada (SRC) sur leur tablette en utilisant un réseau mobile : a) le service Télé mobile de Bell à 5 $ (ou quelquefois gratuit lorsque le service est en promotion ou offert en bonus) ou b) l’un des services de la SRC auxquels ils peuvent accéder par Internet avec leur forfait de données de Bell Mobilité au prix de 40 $.
  3. M. Klass a indiqué qu’un service de télé mobile est une application à haute consommation de données et que, dans la mesure où la capacité des réseaux mobiles est limitée, il est raisonnable de conclure que l’utilisation de services de télé mobile contribue aux coûts et à la congestion du réseau proportionnellement à une utilisation similaire de services Internet.
  4. Finalement, certaines parties ont fait valoir que, bien que Bell Mobilité et Vidéotron mettent de l’avant les prétendus avantages de leurs services respectifs par rapport aux objectifs de politique de radiodiffusion énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion, il n’existe aucune preuve quantifiable permettant de démontrer l’ampleur de ces avantages.
  5. Bell Mobilité est d’avis que le service Télé mobile de Bell est un service de radiodiffusion et ne peut donc pas être comparé, en vertu du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications, aux services de télécommunication qu’elle fournit à titre de FSI. Elle a qualifié d’incorrecte la déclaration selon laquelle elle fixerait « trop bas » les tarifs de ses services de télé mobile et a affirmé que ses tarifs correspondent à ceux des nouveaux services de distribution similaires récemment lancés par Rogers Communications Partnership et Québecor. Tant Bell Mobilité que Vidéotron ont fait valoir que cette affirmation ne tient pas compte non plus du fait que les services de télé mobile sont des nouveaux services de distribution de radiodiffusion lancés à titre expérimental.
  6. Bell Mobilité allègue également que la déclaration selon laquelle ses tarifs de données sur Internet mobile permettant de visionner du contenu Internet seraient « trop élevés » est erronée. Elle a noté que le marché des données de télécommunication sans fil de détail est exempté de réglementation tarifaire depuis longtemps. Elle a ajouté que le Conseil a conclu, au cours de l’instance qui a mené à l’adoption du code sur les services sans filRetour à la référence de la note de bas de page 8, que le marché des télécommunications est encore suffisamment concurrentiel pour protéger les utilisateurs et que, dans ces conditions, il n’est pas nécessaire que le Conseil réinstaure la réglementation concernant les tarifs des services sans fil. Bell Mobilité a soutenu que rien n’indiquait que les circonstances auraient changé.
  7. Selon Bell Mobilité, le service Télé mobile de Bell est précisément le type de service novateur, riche en contenu canadien et à l’écoute du consommateur que soutient la politique du Conseil sur les nouveaux médias. Elle a soutenu que son service de télé mobile contribue à l’atteinte des objectifs de politique de radiodiffusion énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion en assurant aux consommateurs canadiens un accès plus large à la programmation canadienne à la fois en ligne et sur leurs appareils mobiles. Bell Mobilité a ajouté que ce type de service de radiodiffusion sans fil pro-Canadien et favorable aux créateurs et aux consommateurs a besoin de soutien et non pas de contrainte. Vidéotron a déclaré, pour sa part, que cette expérience permet à tous les fournisseurs de mieux connaître le marché et de trouver de meilleurs moyens de concevoir des offres plus attrayantes pour les consommateurs. Selon elle, le fait que les Canadiens s’habituent à consommer du contenu télévisuel sur leurs appareils mobiles ne peut qu’ultimement avoir une incidence positive sur l’ensemble des fournisseurs de tels services. Pour cette raison, Vidéotron a conclu que toute préférence éventuelle associée aux pratiques de facturation en question ne peut être considérée indue.
Analyse et décisions du Conseil
  1. Dans la décision de télécom 96-14, ainsi que dans les décisions subséquentes, le Conseil s’est abstenu de réglementer les services de données sans fil mobiles qui sont utilisés notamment pour fournir l’accès Internet aux abonnés des services sans fil mobiles. Dans la décision de télécom 2010-445, le Conseil a modifié le cadre d’abstention visant les services de données mobiles sans fil en assujettissant l’offre et la fourniture de ces services par les entreprises canadiennes aux pouvoirs et fonctions du Conseil aux termes de l’article 24 et des paragraphes 27(2), 27(3) et 27(4) de la Loi sur les télécommunications. Dans ladite décision, le Conseil a estimé approprié de modifier le cadre d’abstention afin de permettre l’application de ces dispositions de la Loi sur les télécommunications aux services de données mobiles sans fil, et de traiter notamment des questions de discrimination injuste ou de préférence indue en ce qui concerne la fourniture des services de données mobiles sans fil par les entreprises canadiennes.
  2. L’analyse du Conseil relativement à une allégation de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable, aux termes du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications, s’effectue en deux étapes :
    • Le Conseil détermine d’abord si le comportement visé constitue une préférence ou un désavantage pour quiconque;
    • S’il tel est le cas, il détermine alors si la préférence ou le désavantage est indu ou déraisonnable.
Détermination de la préférence ou du désavantage
  1. Comme il a été mentionné ci-dessus, les activités qu’exercent Bell Mobilité et Vidéotron afin d’établir la connectivité de données et de fournir le transport jusqu’à leurs réseaux d’accès sans fil sont les mêmes, que le contenu transmis soit celui de leurs services de télé mobile, d’autres services de radiodiffusion ou encore de services autres que de radiodiffusion. Le Conseil est d’avis que, pour le consommateur, le mode de transport de ces services - c’est-à-dire le réseau Internet public ou une connexion point à point par protocole Internet - est immatériel et probablement inconnu.
  2. Néanmoins, il existe une différence de coût significative pour les consommateurs entre l’accès, au moyen d’un réseau sans fil, à du contenu audiovisuel et à d’autre contenu sur Internet, et l’accès à du contenu offert sur des services de télé mobile. Tel qu’il en a été discuté ci-dessus, le temps passé par un abonné pour accéder au service de télé mobile n’est pas comptabilisé dans le calcul de la limite de données de son forfait. Par ailleurs, les consommateurs paient des frais fixes correspondant à l’utilisation d’un certain nombre d’heures de service de télé mobile sur leurs appareils mobiles, ce prix n’étant pas basé sur le nombre de gigaoctets de données utilisé. Au contraire, d’autres services de contenu (même ceux qui offrent des services de programmation qui sont substantiellement similaires à ceux offerts par les services de télé mobiles) sont comptabilisés dans le calcul de la limite de données de l’abonné (par exemple, sur un forfait d’un gigaoctet, un consommateur pourrait atteindre sa limite après deux heures de visionnement d’une vidéo).
  3. Tel qu’il est indiqué ci-dessus, c’est le forfait de service de voix, le forfait de données ou le forfait tablette de l’abonné qui fournit la base de connectivité de données requise pour qu’un utilisateur final accède au service de télé mobile. Malgré tout, compte tenu du fait que l’accès aux services de télé mobile est exempté de l’application du forfait de données standards et compte tenu des frais minimaux d’accès aux services, les coûts payés par le consommateur pour accéder à du contenu d’autres services de contenu audiovisuel sur leurs appareils mobiles sont significativement plus élevés que les frais d’accès à leurs services de télé mobile respectifs. En conséquence, les clients de Bell Mobilité et de Vidéotron bénéficient d’un incitatif économique important s’ils accèdent à du contenu provenant des services de télé mobile plutôt que d’autres services de contenu. Inversement, les clients de Bell Mobilité et de Vidéotron qui utilisent d’autres services de données subissent un désavantage équivalent lorsqu’ils doivent payer plus cher pour accéder à du contenu sur leurs appareils mobiles et respecter les limites de données. Cette mesure incitative constitue un avantage pour les services de télé mobile, lequel se traduit par un désavantage équivalent pour les autres services de données.
  4. Le Conseil conclut donc qu’en fournissant la connectivité et le transport des données nécessaires aux consommateurs pour accéder à leurs services de télé mobile respectifs sur leurs appareils mobiles, Bell Mobilité et Vidéotron accordent une préférence à leurs abonnés de télé mobile respectifs et à leurs propres services; de plus, elles font subir un désavantage proportionnel aux consommateurs d’autres services, notamment ceux de contenu audiovisuel.
Nature indue ou déraisonnable de la préférence ou du désavantage
  1. Une préférence ou un désavantage n’est pas en soi contraire à la Loi sur les télécommunications à moins d’être de nature indue ou déraisonnable. Le Conseil doit donc déterminer si, dans le cas présent, la préférence ou le désavantage est indu ou déraisonnable. À cet égard, en vertu du paragraphe 27(4) de la Loi sur les télécommunications, il incombe au fournisseur canadien qui accorde une préférence et fait subir un désavantage de démontrer au Conseil que cette préférence et que ce désavantage n’est pas indu ou déraisonnable.
  2. De plus, en vertu de l’article 28 de la Loi sur les télécommunications, le Conseil doit tenir compte de la politique canadienne de radiodiffusion exposée dans la Loi sur la radiodiffusion pour déterminer s’il y a eu préférence ou désavantage indu ou déraisonnable dans une transmission d’émissions.
  3. Tel qu’il en a été discuté précédemment, Bell Mobilité et Vidéotron ont adopté, au cours de la présente instance, la position selon laquelle leurs services de télé mobile sont des services de radiodiffusion. Bell Mobilité a tout particulièrement affirmé que la distribution de ces services ne peut être examinée qu’au regard de la Loi sur la radiodiffusion et n’est pas assujettie à la Loi sur les télécommunications. Comme il a été noté ci-dessus, Bell Mobilité a déclaré que son service de télé mobile sert plusieurs des objectifs de la Loi de la radiodiffusion, et que son service de radiodiffusion a besoin de soutien et non pas de contrainte. Elle a aussi fait valoir que ses limites de données sont neutres sur le plan de la concurrence et traitent tout contenu de service vidéo en ligne de la même façon, y compris son propre contenu, qui est disponible sur des sites web tels que www.ctv.ca ou www.tsn.ca. De plus, Bell Mobilité a indiqué qu’il n’existe aucune discrimination injuste à l’égard de ses clients ou des fournisseurs de contenu, qu’il s’agisse de fournisseurs de contenu de service vidéo en ligne ou pas. Finalement, elle a soutenu que, même dans le cas où il y aurait discrimination ou préférence, il reste que les fournisseurs de contenu de service vidéo en ligne continuent à afficher une forte croissance au Canada, et que rien ne prouve qu’une telle discrimination ait causé une baisse importante de la concurrence.
  4. Selon Vidéotron, les frais permettent aux fournisseurs de mieux connaître le marché et de trouver de nouveaux moyens de concevoir des offres plus attrayantes pour les consommateurs. D’après elle, le fait que les Canadiens s’habituent à consommer du contenu télévisuel sur leurs appareils mobiles ne peut qu’ultimement avoir une incidence positive sur l’ensemble des fournisseurs de tels contenus.
  5. Le Conseil estime cependant que le fait d’encourager les consommateurs à accéder à ces services à haute consommation de données n’est pas conforme à l’approche des entreprises concernant les autres services de données, laquelle consiste à imposer un plafond de données afin d’optimiser l’efficience de ces réseaux. Si l’accès aux services de télé mobile continue à augmenter, ce qui semble une prévision raisonnable, les frais de données pour ces services de télé mobile, le plafond de données proportionnellement trop haut et l’incitation des abonnés à utiliser ces services pourraient entraîner une dégradation des autres services en contribuant à la congestion des réseaux.
  6. Le Conseil note qu’en affirmant que la concurrence n’avait pas diminué, Bell Mobilité n’a cité que les taux de croissance des services vidéo en ligne sur toutes les plateformes (pas uniquement pour les appareils mobiles) pour démontrer que la concurrence sur le marché du visionnement de contenu sur les appareils mobiles n’avait pas été touchée. Cette position a été reprise par Vidéotron, qui a ajouté que son propre service de télé mobile profite aux consommateurs grâce à son innovation, trouvant de nouvelles façons de rendre ses offres attrayantes aux yeux des consommateurs.
  7. Le Conseil reconnaît qu’il n’y a eu ni plainte ni intervention de la part des fournisseurs de services concurrents. Il estime néanmoins que les arguments de Bell Mobilité et de Vidéotron ne sont pas convaincants : non seulement elles n’ont pas réussi à régler la question de l’incidence du grand écart quant aux frais de données facturés aux consommateurs, mais ils n’ont pas davantage abordé la question du risque éventuel de préjudice significatif imposé aux autres services de contenu audiovisuel accessible sur les appareils mobiles des abonnés dont la consommation de données est plafonnée. Compte tenu de la différence considérable entre les frais de données en question, le Conseil n’est pas convaincu par les arguments de Bell Mobilité et de Vidéotron affirmant qu’il n’y a pas eu de conséquences matérielles, ou qu’il n’y en aura probablement pas à l’avenir, ni sur les consommateurs ni sur la croissance d’autres services.
  8. Au cours des dernières années, on a observé une augmentation régulière de l’adoption de téléphones intelligents au Canada ainsi qu’une consommation croissante de télévision et de contenu Internet par les Canadiens sur leurs appareils mobiles. En 2013, on comptait 17,6 millions d’abonnés à la large bande mobile au Canada comparativement à 14,3 millions en 2012. En 2013, 62 % des Canadiens possédaient un téléphone intelligent contre 14 % en 2009. Actuellement, 77 % des francophones et 84 % des anglophones accèdent à Internet sur leurs téléphones intelligents. En 2013, 14 % des francophones et 18 % des anglophones regardaient la télévision sur leurs téléphones intelligents comparativement à 2 % et à 5 %, respectivement en 2009Retour à la référence de la note de bas de page 9.
  9. En ce qui a trait aux services de télé mobile, les données sont mitigées. Le Conseil note cependant que la Télé mobile de Bell ayant plus de 1,4 million d’abonnés, ce nombre est assez important pour que le Conseil puisse s’attendre à ce qu’il ait, à l’avenir, une incidence sur les services concurrents, au fur et à mesure de la croissance de l’utilisation mensuelle du service et d’une certaine familiarisation des consommateurs.
  10. À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut que la préférence accordée quant au transport des services de télé mobile de Bell Mobilité et de Vidéotron jusqu’aux appareils mobiles des abonnés ainsi que le désavantage correspondant quant au transport d’autres services de contenu audiovisuel disponible sur Internet continueront à augmenter et auront une incidence matérielle sur les consommateurs, et sur d’autres services de contenu audiovisuel en particulier. À titre d’exemple, cette situation peut finir par bloquer l’introduction et la croissance d’autres services de télé mobile accessibles par Internet, ce qui réduirait l’innovation et le choix offert aux consommateurs.
  11. Le Conseil estime également significatif que Bell Mobilité et Vidéotron puissent traiter le transport de leurs services de télé mobile de façon si différente de celui des autres services de contenu audiovisuel, étant donné qu’ils peuvent tirer parti du fait qu’ils détiennent à la fois les moyens de transport et les droits sur le contenu.
  12. Bien que dans le présent dossier, l’article 28 de la Loi sur les télécommunications s’applique dans la mesure où la préférence et le désavantage concernent la transmission d’émissions, le Conseil remarque que la politique sur la radiodiffusion exposée dans la Loi sur la radiodiffusion n’est pas en elle-même déterminante dans ce cas. Les modalités favorables offertes par Bell Mobilité et Vidéotron pour le transport et la connectivité des données nécessaires à leurs propres services de télé mobile peuvent servir certains objectifs de la politique de radiodiffusion. Toutefois, ce n’est pas le cas du désavantage imposé aux consommateurs qui désirent accéder à d’autres émissions canadiennes sur leurs appareils mobiles. En conséquence, le Conseil estime que ni la préférence ni le désavantage ne peuvent être justifiés au regard de la politique de radiodiffusion établie au paragraphe 3(1) de la Loi sur la radiodiffusion.
  13. À la lumière de tout ce qui précède, le Conseil est d’avis que Bell Mobilité et Vidéotron ne se sont pas acquittées du fardeau de prouver au Conseil qu’une telle préférence ou qu’un tel désavantage n’est pas indu ou déraisonnable. Par conséquent, il conclut que Bell Mobilité et Vidéotron ont accordé à leurs clients ainsi qu’à leurs services une préférence indue et déraisonnable en fournissant la connectivité et le transport de données nécessaires à l’accès aux services de télé mobile à des coûts substantiellement plus bas que ceux des autres services de contenu audiovisuel, en violation du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications. De plus, Bell Mobilité et Vidéotron ont fait subir un désavantage indu et déraisonnable à leurs abonnés qui consomment d’autres services de contenu audiovisuel sujets à des frais d’utilisation de données, et à ces services, en violation du paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications.
  14. Par conséquent, le Conseil ordonne à Bell Mobilité d’éliminer sa pratique illégale relative aux frais d’utilisation de données pour son service de télé mobile, au plus tard le 29 avril 2015. Selon le Conseil, l’élimination de l’exemption des frais d’utilisation de données pour les services de télé mobile est un moyen de régler la question de la préférence et du désavantage indu et déraisonnable.
  15. En ce qui a trait à Vidéotron, le Conseil note que cet opérateur a déclaré dans sa lettre du 14 octobre 2014, que l’application illico.tv pour les appareils Blackberry et Android serait retirée à la fin de 2014 et que les utilisateurs de cette application y auront accès jusqu’à la fin du mois de mars 2015. Vidéotron a également indiqué que cette application sera remplacée par un service sans exemption de frais d’utilisation de données. Par conséquent, le Conseil ordonne à Vidéotron de respecter l’échéancier de retrait de l’application illico.tv indiqué dans sa lettre et de confirmer d’ici le 31 mars 2015 que l’application a été retirée. En outre, le Conseil ordonne à Vidéotron de garantir que tout nouveau service de télé mobile soit conforme aux conclusions énoncées dans la présente décision.
  16. Le Conseil remarque que certaines parties ont soulevé la question de savoir si Bell Mobilité et Vidéotron, en ce qui a trait à leurs pratiques de facturation des services de télé mobile, s’étaient accordé une préférence indue selon l’Ordonnance d’exemption adoptée en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Compte tenu des conclusions susmentionnées, et du fait que les demandes de M. Klass et PIAC et al. ont été déposées en vertu de la Loi sur les télécommunications, le Conseil n’estime pas nécessaire de traiter cette question.

Instructions

  1. Selon les InstructionsRetour à la référence de la note de bas de page 10, le Conseil, dans l’exercice des pouvoirs et fonctions que lui confère la Loi sur les télécommunications, doit mettre en œuvre les objectifs de la politique énoncés à l’article 7 de cette loi, conformément aux alinéas 1a) et b) des Instructions.
  2. Le Conseil estime que les conclusions énoncées dans la présente décision sont conformes aux Instructions et permettent d’atteindre les objectifs de la politique énoncés aux alinéas 7a), b), c), f) et h) de la Loi sur les télécommunicationsRetour à la référence de la note de bas de page 11.
  3. Conformément au sous-alinéa 1a)(ii) des Instructions, le Conseil estime qu’en éliminant la pratique illégale quant aux frais d’utilisation de données liés aux services de télé mobile, il prend des mesures qui sont efficaces et proportionnelles aux buts visés et qui ne font obstacle au libre jeu d’un marché concurrentiel que dans la mesure minimale nécessaire pour atteindre les objectifs de la politique susmentionnés. Tel qu’il l’a établi ci-dessus, le Conseil estime que l’élimination de l’exemption de frais d’utilisation de données est un moyen de régler la question de préférence ou de désavantage indu ou déraisonnable. De plus, le Conseil estime que l’élimination de la pratique illégale quant aux frais d’utilisation de données ne décourage pas un accès au marché qui est propice à la concurrence et qui est efficace économiquement, ni n’encourage un accès au marché qui est inefficace économiquement, conformément au sous-alinéa 1b)(ii) des Instructions. Bien au contraire, l’élimination d’un important obstacle à la concurrence favorisera un accès au marché qui est efficace et propice à la concurrence.

Secrétaire général

Documents connexes

Opinion concurrente du conseiller Raj Shoan

J’approuve entièrement les conclusions de la décision majoritaire. Les fournisseurs de service télé mobile dont il est question dans ce processus devraient supprimer leur pratique illégale quant à la facturation de données.

En revanche, je n’approuve pas le raisonnement étroit de la majorité. Je crois que les dispositions relatives à la préférence indue de l’Ordonnance d’exemption des médias numériques (l’Ordonnance d’exemption) s’appliquent dans le cas présent en combinaison avec celles de la Loi sur les télécommunications. Ou alors, la majorité aurait dû accorder plus de poids à l’applicabilité de l’article 28 de la Loi sur les télécommunications sur cette question. Quoi qu’il en soit, j’estime que le Conseil n’aurait pas dû restreindre son analyse à la seule application de l’article 27 de la Loi sur les télécommunications.

Les demandes ont trait à la fourniture et à la facturation des services de radiodiffusion. La Loi sur la radiodiffusion demeure neutre sur la question des technologies et son applicabilité ne se limite pas à une plateforme en particulier. Elle a été élaborée et conçue comme une loi évolutive. À ce titre, le mode de distribution de programmation à la population canadienne est immatériel. L’objectif de la Loi sur la radiodiffusion est de couvrir une certaine activité, à savoir la fourniture de programmation aux Canadiens par des ondes radioélectriques ou tout autre moyen de télécommunication. Voilà pourquoi, même si les entreprises par câble ou satellite desservent pratiquement 95 % des Canadiens, la Loi sur la radiodiffusion ne fait pas référence à ces technologies de distribution comme les seules méthodes de distribution de programmation. La loi a été délibérément conçue pour demeurer neutre sur la question des plateformes.

La technologie des télécommunications utilisée par l’intermédiaire des ondes radioélectriques ou toute autre technologie sous-tend à la fois la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications. La différence fondamentale entre les deux lois est la nature de l’activité qu’elles couvrent. En résumé, la radiodiffusion consiste à fournir une programmation au public au moyen d’une technologie; les télécommunications englobent le reste - principalement le transport des messages, y compris les échanges d’ordre privé entre les particuliers et les interactions à caractère commercial.

Pourquoi faire cette distinction? Il y a quelques décennies, la radiodiffusion et les télécommunications étaient censées, en droit comme en politique, avoir différentes incidences sociales, économiques et, pour la radiodiffusion, culturels, qui méritaient des mesures de soutien de politique publique. Diverses modifications législatives et l’adoption de nouvelles lois ont modifié ce soutien au cours des années. La nature de ce soutien et les obligations correspondantes des titulaires et des entités de ces deux régimes ont également changé et évolué au fil des années.

Il est important de bien connaître et comprendre ce contexte avant d’examiner les points soulevés par les demandeurs. Dans un monde marqué par la transformation rapide des industries de la radiodiffusion et des télécommunications, le rappel de cette distinction fondamentale entre ces deux industries influence les décisions actuelles et futures. Au Canada, les télécommunications étaient autrefois assujetties à la réglementation fédérale, plus précisément à la Loi sur les chemins de fer. La Loi sur la radiodiffusion que nous connaissons n’a été promulguée qu’en 1968. À l’heure actuelle, ces deux industries prospères comptent des entreprises locales, régionales et nationales. La distinction fondamentale entre les deux industries n’a toutefois pas changé : la radiodiffusion consiste à fournir une programmation au public au moyen de la technologie de radiodiffusion; les télécommunications couvrent le transport de services privés ou commerciaux.

Cette introduction vise à simplifier les régimes réglementaires extrêmement complexes qui entrent en jeu en la matière. Souvent, les décisions publiées par le CRTC sont jusqu’à un certain point inaccessibles au public en raison de la complexité du type des dossiers. Sans une connaissance approfondie des politiques du Conseil, du jargon de l’industrie et de la technologie elle-même, le consommateur moyen risque d’avoir beaucoup de mal à comprendre les subtilités du processus décisionnel du Conseil. Voilà pourquoi je choisis de rendre cette opinion concurrente plus facile à comprendre pour tous les lecteurs en la séparant en deux parties : la première traite des questions qui intéressent l’industrie, la seconde des conséquences de la décision majoritaire pour le consommateur canadien.

Pour l’industrie

Tel qu’indiqué au paragraphe 4 de la décision majoritaire, les services de télé mobile en question sont accessibles à l’aide d’appareils mobiles grâce à des applications (soit des applications logicielles mobiles) développées par Bell Mobilité et par Vidéotron (pour les téléphones Android et Blackberry dans le cas de Vidéotron). Ces services offrent un ensemble de contenu de radiodiffusion : ils offrent surtout la diffusion sur Internet en continu de stations de télévision et d’autres services de programmation de télévision connexes, comprenant l’accès au contenu d’une banque limitée de vidéos sur demande.

Dans sa décision majoritaire, le Conseil estime que Bell Mobilité et Vidéotron exercent des activités de radiodiffusion et note à cet égard qu’aucune partie à l’instance ne doute que les services de télé mobile sont des services de radiodiffusion au sens de l’Ordonnance d’exemption. Je suis d’accord.

La divergence entre la position de la majorité et la présente opinion concurrente réside dans l’analyse du rôle de l’entreprise dans la chaîne de distribution. Au paragraphe 16, la décision majoritaire indique estimer que « les rôles que jouent Bell Mobilité et Vidéotron à titre d’entreprises canadiennes fournissant une connectivité de données sans fil et transmettant les services qui permettent aux abonnés d’accéder à du contenu sur des appareils mobiles ne se transforment pas nécessairement en des rôles d’entreprise de distribution uniquement parce qu’elles sont impliquées dans le contenu. Il faut plutôt examiner les faits dans chaque cas en vue de déterminer la véritable nature des services offerts. »

La décision majoritaire lance ensuite une discussion sur les faits pertinents au présent cas. Le premier fait pertinent, relevé au paragraphe 17, est que les services de télé mobile en question sont transmis sur des réseaux d’accès sans fil qui sont les « mêmes réseaux qui servent à la distribution de leurs services de télécommunication de voix et de données sans fil, lesquels sont clairement des services de télécommunication assujettis à la Loi sur les télécommunications. » Le second fait pertinent, cité au paragraphe 18, est que « les activités qu’exercent Bell Mobilité et Vidéotron afin d’établir la connectivité de données et de fournir le transport jusqu’à leurs réseaux d’accès sans fil sont les mêmes, que le contenu transmis soit celui de leurs services de télé mobile, d’autres services de radiodiffusion ou encore de services autres que de radiodiffusion. Et ce, parce que l’objectif de ces activités est d’établir la connectivité de données et de transmettre le contenu, peu importe le contenu lui-même. » S’appuyant sur ces deux faits, le Conseil conclut au paragraphe 22 que Bell Mobilité et Vidéotron agissent comme des entreprises canadiennes lorsqu’elles distribuent une programmation à leurs utilisateurs finaux.

Malgré tout le respect que j’ai pour mes collègues, l’argument de mes collègues ne me convainc pas. C’est la nature de l’activité qui définit un service, et non pas la nature de sa plateforme, et il est raisonnable de croire que la transformation d’une activité sur une plateforme peut changer des éléments de la nature du service. Il est possible que certains réseaux aient, dans un premier temps, uniquement servi à transmettre de la voix et des données sans fil, mais si ceux-ci sont devenus au fil du temps des réseaux de distribution de programmation, le Conseil doit tenir compte de cette réalité dans sa réflexion politique et décisionnelle. En second lieu, c’est la différence tarifaire imposée par les entreprises qui transmettent du contenu sur leurs plateformes sans fil qui est à la source des demandes, ce qui signifie jusqu’à un certain point que les entreprises n’agissent pas de façon totalement neutre. Elles ciblent certaines applications de programmation qui méritent un traitement préférentiel et installent ensuite sur leurs réseaux des procédés permettant l’exécution de cette préférence. Par conséquent, le second postulat de la décision majoritaire m’apparaît suspect.

À mon avis, la majorité n’a pas suffisamment approfondi la question de savoir si les activités des entreprises qui détiennent une entreprise de radiodiffusion pouvaient raisonnablement être assimilées à celles d’une entreprise mobile lorsqu’elle a réfléchi à l’application de la Loi sur la radiodiffusion et, par extension, de l’Ordonnance d’exemption.

Fondamentalement, la Loi sur la radiodiffusion a toujours couvert la fourniture à des utilisateurs finaux de services de programmation par des ondes radioélectriques ou tout autre moyen de télécommunication. Cette activité a été légalement divisée en activités de distribution, de programmation et de réseau. La Cour suprême a accordé une exception aux fournisseurs de services Internet (FSI) qui offraient un accès passif à la radiodiffusion sur Internet. Toutefois, je ne suis pas vraiment convaincu que des fournisseurs de services sans fil tels que Bell Mobilité et Vidéotron peuvent profiter de cette exception. Leurs pratiques de facturation semblent démontrer un certain degré de gestion de consommation de programmation qu’on ne peut décrire comme étant passive.

Tel qu’énoncé au paragraphe 28 de Distribution des services de radio par satellite par abonnement par des entreprises de distribution par satellite de radiodiffusion directe, décision de radiodiffusion CRTC 2006-615, 3 novembre 2006, le Conseil a conclu que la définition d’une entreprise de radiodiffusion « comprend » des services de programmation, des services de distribution et un réseau, mais que celle-ci pouvait aussi comprendre d’autres services non cités.

Étant donné que les demandes concernent les pratiques de facturation associées aux services de télé mobile et que les pratiques de facturation préférentielle utilisées en la matière remettent en cause le degré de contrôle qu’exercent les entreprises sur la consommation de programmation des utilisateurs, je crois que le Conseil aurait dû utiliser l’Ordonnance d’exemption pour régler cette question de traitement préférentiel jusqu’au moment où il aurait été convaincu que ces pratiques étaient liées à une question valable de réseau. La gestion du réseau a toujours été une question de télécommunication. Pour moi, le contrôle de la consommation de programmation est une mesure de contrôle de radiodiffusion. Les demandes des entreprises à l’instance indiquent que les frais associés aux services de télé mobile n’étaient pas liés à la gestion de la congestion du réseau. Compte tenu de cela, j’aurais eu tendance à appliquer les règles de l’Ordonnance d’exemption en combinaison avec les dispositions relatives à la préférence indue de la Loi sur les télécommunications jusqu’au moment où j’aurais été convaincu que les entreprises n’utilisaient pas des pratiques de facturation préférentielles pour favoriser certains services de programmation en ligne plutôt que d’autres.

Pour le consommateur

Nonobstant ce qui précède, la décision majoritaire n’est pas sans conséquences pour les consommateurs canadiens. En renonçant à l’utilisation des dispositions de préférence indue de l’Ordonnance d’exemption et au recours judicieux à l’article 28 de la Loi sur les télécommunications, la décision majoritaire évite dans le cas présent de réfléchir aux objectifs de la politique de radiodiffusion en la matière et, par glissement, crée un précédent important.

Pour le consommateur, cette approche signifie que la barre sera désormais très haute pour les entreprises de radiodiffusion - qu’elles soient axées sur la programmation ou sur la distribution - exploitées par l’intermédiaire du réseau d’une entreprise de télécommunications et qui voudraient utiliser un recours contre cette entreprise pour atteindre un objectif de la politique de radiodiffusion. En fait, une telle démarche pourrait être pratiquement impossible étant donné la décision majoritaire.

En quoi cela est-il problématique? À une époque de convergence marquée par la fusion des modèles d’affaires et de distribution, cette décision dénote un certain manque de vision pour n’importe quel organisme de réglementation empêchant le recours à certains arguments juridictionnels au moment où des industries et des services en pleine mutation sont constamment redéfinis par la réalité des affaires.

Par exemple, le demandeur, Benjamin Klass, soutient au paragraphe 84 de sa demande que les pratiques inéquitables de facturation de Bell l’amènent à facturer injustement la consommation de la programmation de la SRC, un service en direct gratuit, sur les réseaux mobiles. On pourrait soutenir que tous les Canadiens paient déjà la programmation de la SRC et que Bell profite inopportunément de la distribution de ce service sur une nouvelle plateforme. En temps normal, cette affaire entre programmeur et distributeur se réglerait sous les auspices de la Loi sur la radiodiffusion, par exemple conformément au mécanisme prévu à l’article 9(1)h) de cette loi. Toutefois, conformément à la décision majoritaire, tout plaignant ou demandeur qui voudrait contester une telle pratique de facturation devra dorénavant trouver un objectif de la politique applicable en vertu de la Loi sur les télécommunications. Étant donné que la décision majoritaire prévoit qu’un tel scénario ne relèverait pas de la politique de gestion actuelle du trafic InternetRetour à la référence de la note de bas de page 12, rien ne dit que cet objectif serait très évident.

De plus, CAS-COSCO-PIAC se demande, au paragraphe 35 de son intervention supplémentaire, comment l’imposition de barrières tarifaires aux services vidéo en ligne, lesquels concurrencent les services des grands fournisseurs de services verticalement intégrés, peut favoriser la croissance et le développement des nouveaux médias. Pourtant, la promotion de la croissance et du développement des nouveaux médias serait un objectif de la politique de radiodiffusion. À ce titre et compte tenu des objectifs de politique particuliers de la Loi sur les télécommunications, il serait difficile, conformément à la décision majoritaire, de soutenir un tel argument à l’avenir.

La décision majoritaire pourrait également avoir d’autres conséquences imprévues car elle n’a pas tenu compte de la perspective de la radiodiffusion dans son examen. Par exemple, le paragraphe 27(2) de la Loi sur les télécommunications interdit d’établir une préférence indue et/ou une discrimination injuste envers qui que ce soit. Autrement dit, la nationalité importe peu. Si l’on se fie à la logique de la décision majoritaire, toute entreprise de radiodiffusion numérique non canadienne exemptée qui offre un service en ligne au Canada pourrait déposer une plainte de préférence indue à l’endroit d’une entreprise de télécommunications canadienne si les frais liés à la consommation intérieure ne se comparent pas à ceux d’entités semblables. Voilà qui pourrait sérieusement menacer les entreprises qui desservent des zones de desserte à coût élevé. Cela pourrait aussi avoir des répercussions sur le développement d’applications à ne pas facturer.

Conclusion

Compte tenu de ce qui précède et dans la mesure où la facturation préférentielle en la matière profite aux services de programmation liés des entreprises en question, je crois qu’il aurait fallu, dans le cas présent, appliquer les dispositions relatives à la préférence indue de l’Ordonnance d’exemption en combinaison avec celles de la Loi sur les télécommunications. La Loi sur les télécommunications s’applique parce que nous parlons d’entreprises communes, mais la nature de la facturation préférentielle a manifestement un lien avec les entreprises de radiodiffusion. Voilà pourquoi, selon moi, il aurait fallu appliquer les dispositions de préférence indue de ces deux outils.

En terminant, voici quelques observations contenues dans les interventions et répliques de la présente instance.

« L’absence de participation à cette instance d’un quelconque fournisseur de contenu canadien ou étranger, pas même pour commenter notre offre de télé mobile, indique que ces services en ligne ne considèrent pas le service mobile Télétransportée de Rogers comme un concurrent. »

- Réplique de Rogers, paragraphe 21 [Traduction]

« À tort et sans raison pertinente, Rogers a invité le Conseil à conclure que l’absence à l’instance de toute intervention d’un fournisseur de contenu canadien ou étranger devait être vue comme un soutien aux pratiques de facturation en jeu. »

- Réplique de CAS-COSCO-PIAC, ES6 (ii) [Traduction]

« Le Conseil ne devrait pas voir l’absence d’intervention dans une instance telle que celle-ci autrement que comme un fait - celle-ci ne devrait pas être vue comme un soutien au comportement en question. »

- Réplique de CAS-COSCO-PIAC, paragraphe 36 [Traduction]

« À tort (et pour la seconde fois dans la présente instance), Bell a établi un critère de préférence indue qui ressemble à une “importante diminution de concurrence” et refusé d’envisager, tel que requis, l’intérêt général dans son ensemble. »

- Réplique de CAS-COSCO-PIAC, paragraphe 41 [Traduction]

Le critère de préférence indue/discrimination injuste est fondamentalement un recours qui repose sur des plaintes. Il appartient aux parties de prendre l’initiative d’établir l’existence d’une préférence ou d’une discrimination. Toutefois, cette étape ne suffit pas. Pour que ce critère soit efficace en tant qu’outil de réglementation, il faut que l’ensemble de l’industrie participe à l’établissement d’un dossier public complet, menant à des discussions et des prises de décision constructives. Étant donné le caractère confidentiel des pratiques d’affaires normales tant de l’industrie de la radiodiffusion que de l’industrie des télécommunications, les plaintes de préférence indue ne peuvent pas résoudre les injustices si d’autres parties ne démontrent pas, elles aussi, qu’elles sont traitées non seulement de façon différente, mais de façon indue.

À une époque, les industries de la radiodiffusion et des télécommunications avaient chacune une emprise suffisamment équilibrée sur le marché pour que le Conseil soit certain d’intégrer à son analyse tous les points de vue et perspectives grâce à des processus publics. Ces deux industries ont cependant subi d’importantes fusions au cours des dernières années. Aujourd’hui, une poignée d’entreprises accapare les revenus de l’ensemble de ces industries.

Dans une industrie dominée par quelques joueurs puissants qui contrôlent l’accès aux plateformes clés, il serait possible de remettre en question la dynamique du marché en reprenant et formulant tous les arguments nécessaires pour proposer au Conseil une vision complète des enjeux dans le cadre d’un processus public. Les services indépendants qui soumettent des commentaires contraires à ceux des grands joueurs verticalement intégrés pourraient craindre des représailles économiques. Cette réalité se répercute sur l’élaboration des politiques et des règlements lorsque l’outil employé (comme le critère de préférence indue) dépend largement de la participation de l’industrie et du public.

Pour ce qui est des applications, je constate entre autres ce qui suit.

Le Conseil s’est plutôt fié à la contribution d’étudiants, de citoyens, d’organismes sans but lucratif et d’organismes de bienfaisance bénévoles pour tirer ses conclusions en la matière et produire une décision unanime confirmant que ces pratiques de facturation ne sont pas acceptables. Saluons la mobilisation, la participation et l’engagement de toutes ces personnes.

À plus grande échelle, cependant, on peut s’inquiéter de constater qu’une pratique commerciale jugée inacceptable par le Conseil ait suscité peu de commentaires au sein de l’industrie. Bien que je ne puisse présumer connaître le recours qui permettrait de redresser la situation, le Conseil et l’industrie ont certainement un rôle complémentaire à jouer pour assurer, à l’avenir, l’engagement continu de toutes les entités autorisées ou exemptées. Il pourrait être opportun pour le Conseil d’envisager de modifier ses pratiques sur la préférence indue afin d’obtenir une participation plus franche et plus significative.

Il pourrait aussi être intéressant de réfléchir à la création d’un bureau d’intervenant public qui traiterait d’enjeux relatifs aux médias et aux communications et qui serait en contact direct avec le Conseil, la population canadienne ou le Parlement. Cela augure mal pour les futurs développements, réglementaires ou autres, dans une industrie lorsque la dynamique de l’industrie est telle que des étudiants, des organismes sans but lucratif et des organismes de bienfaisance soucieux de mettre en lumière des questions pertinentes, d’intérêt général, doivent affronter les portefeuilles bien garnis des grandes entités nationales verticalement intégrées sans le soutien des parties concernées (soit les radiodiffuseurs canadiens). Obligé en tout temps de demeurer neutre et objectif, le Conseil n’a que peu de moyens d’influencer le débat et le dialogue dans un processus public. La création d’un bureau d’intervenant public chargé des communications et des médias pourrait offrir le genre de participation significative nécessaire pour prendre des décisions éclairées sans risque de représailles de l’industrie en raison d’anciennes relations d’affaires. Je suis de ceux qui appuieraient la création d’un tel bureau et j’invite assurément les parties concernées à étudier cette solution.

Notes de bas de page

Note de bas de page 1

PIAC et al. ont aussi déposé une demande de la Partie 1 (2014-0014-2) concernant les pratiques en matière de facturation de Rogers Communications Partnership (Rogers) à l’égard de son service de télé mobile Télétransportée. Cependant, à la suite d’une lettre datée du 9 septembre 2014, cette demande de la Partie 1 a été déclarée close parce que Rogers a informé le Conseil qu’elle avait cessé d’offrir le forfait de données mobiles à 5 $ pour ce service.

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Note de bas de page 2

Le service de télé mobile de Bell Mobilité est aussi accessible via toute connexion Wi-Fi.

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Note de bas de page 3

Une heure de visionnement représente environ 0,5 gigaoctets de données.

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Note de bas de page 4

Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, chap. 38, compte tenu de ses modifications. Voir surtout les modifications énoncées dans la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2014, L.C. 2014, chap. 39.

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Note de bas de page 5

Cette ordonnance d’exemption est énoncée à l’annexe de l’ordonnance de radiodiffusion 2012-409.

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Note de bas de page 6

À cet égard, voir par exemple, outre les commentaires, la réponse de Bell Mobilité à la demande de renseignements # 7 du Conseil datée du 4 avril 2014, laquelle peut être consultée sur la page Terminée -Demandes Partie 1 en cliquant sur « Réponses aux demandes de renseignements ».

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Note de bas de page 7

À cet égard, voir par exemple, outre les commentaires, la réponse de Bell Mobilité à la demande de renseignements # 13 du Conseil datée du 5 août 2014, laquelle peut être consultée sur la page Terminée -Demandes Partie 1 en cliquant sur « Réponses aux demandes de renseignements ».

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Note de bas de page 8

Politique réglementaire de télécom 2013-271.

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Note de bas de page 9

Tous les chiffres et pourcentages proviennent du Rapport de surveillance des communications 2014.

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Note de bas de page 10

Décret donnant au CRTC des instructions relativement à la mise en œuvre de la politique canadienne de télécommunication, DORS/2006-355

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Note de bas de page 11

Les objectifs de la politique énoncés dans la Loi sur les télécommunications sont les suivants :

7a) favoriser le développement ordonné des télécommunications partout au Canada en un système qui contribue à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure sociale et économique du Canada et de ses régions;

7b) permettre l’accès aux Canadiens dans toutes les régions - rurales ou urbaines - du Canada à des services de télécommunication sûrs, abordables et de qualité;

7c) accroître l’efficacité et la compétitivité, sur les plans national et international, des télécommunications canadiennes;

7f) favoriser le libre jeu du marché en ce qui concerne la fourniture de services de télécommunication et assurer l’efficacité de la réglementation, dans le cas où celle-ci est nécessaire;

7h) satisfaire les exigences économiques et sociales des usagers des services de télécommunication.

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Note de bas de page 12

Selon ce scénario, les frais qui se rattachent à l’accès à la programmation de la SRC sur un réseau cellulaire ne seraient pas liés à la gestion de la congestion du réseau. Par conséquent, la politique actuelle de gestion du trafic Internet ne s’applique pas en vertu de la décision majoritaire.

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