ARCHIVÉ - Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2012-385

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Référence au processus : 2011-788

Références additionnelles : 2011-788-1, 2011-788-2 et 2011-788-3

Ottawa, le 18 juillet 2012

Examen du Fonds pour l’amélioration de la programmation locale

Le Conseil conclut que le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL) a aidé les stations de télévision locales, au cours des deux dernières années, à maintenir et à améliorer la programmation locale dans les marchés non métropolitains. Cependant, pour les raisons énoncées dans la présente politique, le Conseil conclut également qu’il serait inapproprié de maintenir le FAPL à long terme.

Afin de minimiser les effets du retrait de cette source de financement des stations locales, le Conseil va réduire progressivement le fonds au cours des deux prochaines années de radiodiffusion. Cela donnera assez de temps aux stations traditionnelles pour s’adapter à l’environnement de la radiodiffusion qui évolue. Plus précisément, le Conseil prévoit :

De plus, compte tenu des préoccupations continues du Conseil relatives à l’abordabilité des services de radiodiffusion pour les consommateurs et des positions prises par un certain nombre de parties au cours de l’audience, le Conseil ordonne à toutes les entreprises de radiodiffusion (EDR) autorisées de faire rapport auprès du Conseil, dans les 60 jours de la présente politique, au sujet des informations suivantes :

Des opinions minoritaires des conseillères Duncan, Lamarre et Poirier, ainsi qu’une opinion concurrente du conseiller Morin sont jointes au présent document.

Introduction

1. Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil a conclu que les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) autorisées devraient verser 1 % des revenus annuels bruts découlant de leurs activités de radiodiffusion de l’année précédente au Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL). Le financement du FAPL devait servir à venir en aide en ce qui a trait aux dépenses supplémentaires en programmation locale. Afin d’être admissible à ce financement, les stations devaient fournir de la programmation locale comprenant des nouvelles locales originales. Le Conseil a déclaré qu’il procéderait à un examen complet des activités du FAPL au bout de trois ans afin de décider s’il devait le maintenir, le modifier ou l’abandonner.

2. Dans les politiques réglementaires de radiodiffusion 2009-406 et 2009-406-1, le Conseil a réexaminé certains enjeux relatifs à la politique sur le FAPL et a pris des décisions précises à l’égard de la mise en œuvre du fonds. Compte tenu de différents facteurs, dont le ralentissement économique et l’intention du Conseil d’imposer l’harmonisation des seuils de programmation locale aux stations de télévision traditionnelle des marchés métropolitains et non métropolitains, le Conseil a pris les décisions suivantes pour l’année de radiodiffusion 2009-2010 :

3. Tel qu’énoncé dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2010-167, les radiodiffuseurs ont ensuite allégué que les modalités et conditions temporaires telles que révisées avaient contribué à la survie de stations des petits marchés qui auraient autrement peut-être dû fermer leurs portes. Par conséquent, le Conseil a décidé de maintenir le taux de contribution des EDR à 1,5 % et la suspension de l’exigence selon laquelle les sommes doivent constituer des dépenses additionnelles de programmation locale, et ce, jusqu’à ce qu’il termine son examen complet du FAPL au cours de sa troisième année d’exploitation.

4. Par conséquent, le Conseil a annoncé, dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2011-788, la tenue d’une audience publique à compter du 16 avril 2012 en vue d’examiner ses politiques et règles relatives au FAPL, le rendement du fonds et son efficacité à soutenir la production de programmation locale.

5. Le Conseil a reçu et étudié les commentaires d’un large éventail de parties. Le Conseil a aussi accepté les répliques écrites aux questions posées à l’audience et les observations finales de parties dans l’instance après l’audience. La présente politique se fonde sur le dossier complet de la présente instance, lequel peut être consulté sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Instances publiques ».

Positions des parties

6. À l’exception de Bell Canada (Bell), qui a fait valoir la nécessité de maintenir un FAPL modifié, les sociétés verticalement intégrées – soit Québecor Média inc., Rogers Communications Inc. (Rogers) et Shaw Communications Inc. (Shaw) – ainsi que des EDR indépendantes ont fait valoir que le FAPL constituait un allègement financier transitoire à court terme qui n’était plus nécessaire, compte tenu de changements qui affectent le monde de la radiodiffusion et son régime réglementaire. Les changements énoncés sont les suivants :

7. Shaw a aussi indiqué que la programmation locale représente une part importante de la stratégie de programmation des stations de Global et qu’il entend continuer à mettre l’accent sur les émissions locales, même sans financement du FAPL. Shaw note également qu’une quantité importante d’avantages tangibles découlant de récentes acquisitions a été allouée à la production de contenu local additionnel dans certains marchés.

8. Les parties susmentionnées ont fait valoir que le fonds devrait soit être aboli, soit être graduellement abandonné à partir du 1er septembre 2012. Advenant que le Conseil décide de réduire graduellement le FAPL, Rogers avait tout d’abord proposé de le faire sur trois ans, en réduisant les taux de contribution à 1 %, puis à 0,75 %, puis à 0,5 %. Lors de l’audience, Rogers a proposé une autre réduction annuelle des taux de contribution de 0,4 %, 0,3 % et 0,2 % et avancé que les stations intégrées verticalement et celles de la Société Radio-Canada (SRC) ne devraient pas être admissibles au financement.

9. Tout comme Shaw et les EDR indépendantes, Rogers a souligné que les entreprises non intégrées verticalement ne devraient pas être admissibles étant donné qu’elles disposent des moyens et des synergies pour produire une programmation locale de haute qualité sans subventions. Dans le cas des stations de la SRC, Rogers a avancé que la SRC n’avait pas besoin de financement additionnel provenant des consommateurs canadiens pour exploiter des stations de télévision dans les petits marchés. Rogers a aussi rappelé que la SRC a, de par la loi, le mandat et l’obligation de refléter les différentes régions du Canada et de servir les communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM). Rogers a fait valoir que les radiodiffuseurs indépendants devraient être admissibles au financement du FAPL durant la période de retrait progressif du fonds afin de pouvoir se préparer à la disparition du fonds dans trois ans.

10.MTS Allstream et Canadian Cable Systems Alliance Inc. ont aussi fait valoir que seules les stations indépendantes et celles n’appartenant pas à la SRC devraient avoir accès au FAPL et, si le Conseil décidait de ne pas abolir le fonds immédiatement, les  taux de contribution devraient être de 0,3 % et 0,25 %.

11.Selon Bell, l’admissibilité au FAPL des entreprises intégrées verticalement devrait dépendre des caractéristiques d’une communauté et non pas de celles du radiodiffuseur qui la dessert. Bell estime que ce principe est conforme à la décision originale du Conseil selon laquelle le FAPL serait accessible aux communautés de moins d’un million d’habitants. Bell a souligné que si les entreprises intégrées verticalement n’avaient plus accès au fonds, la diversité des voix en souffrirait.

12.Pour sa part la SRC a fait valoir que le mandat du Conseil n’avait pas changé depuis la création du FAPL dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, pas plus que le système de radiodiffusion n’avait modifié ou diminué l’importance de la programmation locale. Selon la SRC, il n’y a aucune raison de couper les ressources de la programmation locale en modifiant ou en abandonnant le FAPL. Cependant, la SRC a déclaré à l’audience que, si le Conseil décidait de réduire ou d’abandonner le financement du FAPL, la SRC continuerait à respecter, en fonction de ses moyens, les objectifs imposés en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, y compris celui de refléter les situations et les besoins particuliers des deux communautés de langues officielles y compris ceux des communautés de langues française et anglaise en situation de minorité.

13.De petits radiodiffuseurs et des radiodiffuseurs de taille moyenne comme CHEK Media Group et Channel Zero Inc. ont maintenu que le FAPL était essentiel à leur survie et à leur croissance. Plusieurs membres du milieu de la production ont également fait valoir l’importance de maintenir le FAPL, que ce soit sous sa forme actuelle ou sous une forme modifiée, tandis que la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada et d’autres associations communautaires ont souligné que les CLOSM devraient continuer à recevoir une programmation locale pertinente dans leur propre langue.

Analyse et décision du Conseil

14.Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil a annoncé qu’il procéderait à un examen complet du FAPL au cours de sa troisième année d’opération. Le Conseil a entamé cet examen dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2011-788 et tenu une audience publique en avril 2012. À la suite de cet examen, le Conseil estime que le FAPL a contribué avec succès à maintenir et, dans certains cas, à accroître la programmation locale, ainsi qu’à assurer la survie de stations locales offrant ce type de programmation, tant au cours de la crise économique que dans les années qui l’ont suivie. Le financement du FAPL a aussi permis de faire face à nombre de changements structurels et techniques, dont la conversion à la radiodiffusion numérique et l’augmentation des fusions de propriété.

15.Cependant, le Conseil estime que le succès en question a été atteint en majeure partie aux frais des Canadiens qui paient les abonnements dont découle ultimement le financement du FAPL. Alors que la mise en place du FAPL était appropriée afin de régler les problèmes des stations locales à l’époque de sa création, le Conseil estime qu’il n’est pas souhaitable de dépendre du financement du fonds à long terme dans le contexte du nouvel environnement de la radiodiffusion. Le Conseil estime que l’ensemble de l’industrie de la radiodiffusion devra désormais innover et évoluer pour pouvoir continuer à offrir une programmation locale de haute qualité, que ce soit par les types traditionnels de programmation qu’offrent les stations locales ou autrement.

16.De plus, le Conseil note que, dans les années qui ont suivi le ralentissement économique, on a assisté à une remontée générale des ventes de publicité chez les stations de télévision traditionnelle, alors que certaines stations admissibles au FAPL ont vu leurs revenus publicitaires atteindre des niveaux similaires à ceux d’avant la récession. Bien que la tendance actuelle se révèle positive, le Conseil demeure sensible aux enjeux auxquels font face les stations indépendantes et de petits marchés, en particulier, et continuera de surveiller leur situation.

17.En ce qui a trait à la SRC et à ses services continus aux CLOSM, le Conseil en discutera avec la SRC lors de son prochain renouvellement de licence.

18.Le Conseil estime qu’il ne serait pas approprié de maintenir le FAPL à long terme. Cependant, afin d’atténuer les effets du retrait de cette source de financement des stations locales, le Conseil prévoit réduire progressivement le fonds au cours des deux prochaines années de radiodiffusion. Ce retrait graduel donnera aux stations traditionnelles suffisamment de temps pour s’adapter au nouvel environnement de la radiodiffusion. Plus précisément, le Conseil prévoit :

19.En réponse aux nombreuses parties qui ont exprimé leurs inquiétudes face à l’absence de données publiques sur le FAPL et comme en ont convenu tous les bénéficiaires du FAPL à l’audience, le Conseil publiera annuellement les sommes octroyées à chacune des stations financées par le FAPL.

20.Dans l’avis public de consultation de radiodiffusion 2012-386, également publié aujourd’hui, le Conseil sollicite des observations sur la formulation d’un projet de modifications au Règlement sur la distribution de radiodiffusion pour mettre en œuvre ses décisions à l’égard du plan de retrait décrit ci-dessus.

21.De plus, compte tenu des préoccupations continues du Conseil relatives au caractère abordable des services de radiodiffusion pour les consommateurs et des positions prises par un certain nombre de parties au cours de l’audience, le Conseil ordonne à toutes les EDR autorisées de faire rapport auprès du Conseil, dans les 60 jours de la présente politique, c’est-à-dire le 17 septembre 2012 :

22.Le Conseil souhaite mettre l’accent sur le fait qu’il s’attend à ce que les frais additionnels chargés par les EDR à leurs abonnés en conséquence du FAPL soient réduits ou crédités à leurs abonnés à mesure que le taux du FAPL diminue.

Secrétaire général

Documents connexes

Opinion minoritaire de la conseillère Elizabeth Duncan

Malgré tout le respect que je lui dois, je suis en désaccord avec la décision de la majorité de retirer progressivement le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL) sur une période de deux ans. Pour les raisons exprimées ci-dessous, j’aurais préféré que le programme se poursuive de la manière prévue à l’origine dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, c’est-à-dire pour une période de trois ans, suivie d’une évaluation complète au cours de la troisième année. Je partage cependant l’avis de la majorité de réduire les contributions des EDR à 1 % à compter du 1er septembre 2012.

Afin de bien faire comprendre ma position, je retourne aux motifs de la décision du Conseil d’établir le FAPL, énoncés dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100.

Dans cet avis public, le Conseil a reconnu que la situation financière de la télévision locale en direct avait beaucoup changé entre 1998 et 2007 en raison de la multiplication du choix d’émissions canadiennes et non canadiennes que proposent les entreprises de  satellite de radiodiffusion directe (SRD), les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) terrestres numériques et d’autres médias numériques. Le Conseil estimait que cette fragmentation de l’écoute et des revenus publicitaires était l’une des principales raisons du nombre croissant de fusions au sein de l’industrie. En outre, le Conseil était d’avis que l’une des conséquences des fusions semblait avoir été de permettre aux grands groupes de propriété de parvenir à des synergies opérationnelles en concentrant leurs ressources de production dans les grands centres, au détriment des plus petits marchés locaux.

Au cours de l’instance ayant mené à l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil s’est vu présenter des preuves démontrant l’importance que les Canadiens accordent à la programmation locale, particulièrement en ce qui a trait aux nouvelles locales. Cela venait confirmer donc la position du Conseil, selon laquelle les médias locaux fournissent à la majorité des Canadiens des informations essentielles à leur compréhension d’enjeux locaux, nationaux et internationaux. De plus, le Conseil a déclaré que les médias locaux aident à former l’opinion des Canadiens et qu’ils leur fournissent les outils nécessaires pour participer activement à la vie démocratique du pays.

Au cours de cette même instance, le Conseil a également étudié les dépenses des télédiffuseurs en émissions locales par rapport à la taille du marché. Dans les six marchés métropolitains avec une population supérieure à un million, les dépenses en émissions locales, compte tenu de la croissance de l’indice des prix à la consommation, avaient augmenté de 11,8 % entre 1998 et 2007, alors que dans les marchés dont la population n’atteint pas un million, les dépenses en émissions locales avaient chuté de 15,6 % au cours de la même période. En outre, toujours pour la même période, la marge de bénéfice avant intérêts et impôts (BAII) du secteur privé de la télévision en direct des marchés métropolitains était passée de 15,9 % à 9,2 %, et celle des petits marchés non métropolitains de 3,2 % à -4,0 %.

Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil a estimé que l’intérêt public exigeait que le système canadien de la radiodiffusion comprenne des stations locales en bonne santé, capables d’enrichir la diversité des informations et des points de vue éditoriaux. En particulier, le Conseil jugeait que les téléspectateurs des marchés de langue française ne devaient pas être lésés par la taille réduite de leur marché.

Selon le Conseil, il semblait que les stations locales des petits marchés n’avaient pas les moyens d’investir dans la programmation locale. Le Conseil indiquait alors que si la tendance se maintenait, il était très possible que des stations de télévision locales ferment leurs portes ou réduisent encore davantage la qualité de la programmation locale offerte à leurs auditeurs.

En se fondant sur ces conclusions, le Conseil a mis le FAPL en place et lui a établi les objectifs suivants :

Le Conseil a ensuite décidé que le FAPL serait financé grâce aux contributions des EDR terrestres de classe 1 et des entreprises de SRD. Ces contributions étaient fixées à 1 % de leurs revenus bruts découlant d’activités de radiodiffusion.

Le Conseil a également décidé que les dépenses effectuées grâce au financement du FAPL devaient s’ajouter aux dépenses actuelles des stations en matière de programmation locale et que les fonds du FAPL pouvaient servir tant à produire davantage de programmation locale originale qu’à améliorer la qualité de la programmation locale. Il s’agit là de l’exigence de dépenses additionnelles. Bien que toutes les catégories d’émissions locales seraient admissibles au financement du FAPL, le Conseil était d’avis qu’il fallait accorder la priorité aux nouvelles locales et aux émissions d’affaires publiques.

Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil a déclaré que le financement du FAPL serait disponible dès l’année de radiodiffusion 2009-2010.

Ultérieurement, en raison de la crise économique globale, le Conseil a annoncé dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2009-406 qu’il convenait d’augmenter la contribution des EDR au FAPL de 1 % à 1,5 % de leurs revenus bruts découlant d’activités de radiodiffusion et de supprimer l’exigence de dépenses additionnelles pour l’année de radiodiffusion 2009-2010. Le Conseil a conclu que cette hausse suffirait pour assurer que la population canadienne des marchés non métropolitains continue à recevoir une programmation locale au cours de l’année de radiodiffusion 2009-2010 et à assurer la viabilité des stations particulièrement touchées par la gravité de la crise économique de 2008.

Dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2010-167, le Conseil a prolongé la hausse des contributions des EDR à 1,5 % des revenus bruts découlant d’activités de radiodiffusion, ainsi que la suspension de l’exigence de dépenses additionnelles, et ce, jusqu’à ce qu’il termine son évaluation du FAPL durant la troisième année d’exploitation.

Il résulte de ces décisions que l’exigence de dépenses additionnelles prévue dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100 n’a jamais été mise en œuvre. Les télédiffuseurs n’ont pas été tenus de dépenser les fonds provenant du FAPL pour augmenter la quantité ou la qualité de la programmation locale; ils ont plutôt pu se servir de ces fonds totalement à leur guise, y compris pour réduire les pressions causées par le ralentissement de l’économie.

Je partage l’avis de la majorité selon qui, au cours de la récente période d’incertitude économique, le FAPL a aidé les stations de télévision locales à conserver et, dans certains cas, à améliorer les émissions locales dans les marchés non métropolitains ou à en augmenter le nombre. Selon moi, le Fonds a peut-être même maintenu en exploitation certaines stations qui, sans cette aide, auraient cessé leurs activités.

Cependant, en raison de la suppression de l’exigence de dépenses additionnelles, les activités du FAPL n’ont jamais été mises en œuvre telles qu’elles ont été établies dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100. À mon avis, cela signifie que les avantages que le FAPL devait procurer aux marchés non métropolitains n’ont jamais eu la chance de se concrétiser.

Les contributions des EDR au FAPL pour l’année de radiodiffusion qui s’est terminée le 31 août 2011 ont atteint 106,6 millions de dollars, alors que pour la même période, les dépenses en programmation locale des stations bénéficiaires du FAPL n’ont augmenté que de 24,5 millions de dollars. Les contributions n’ayant pas toutes été consacrées aux dépenses en programmation locale, il s’avère impossible d’évaluer tous les avantages potentiels dont les téléspectateurs des marchés non métropolitains auraient pu bénéficier.

De plus, les revenus publicitaires des marchés non métropolitains, compte tenu de l’inflation, poursuivent leur chute depuis les niveaux atteints en 2003. En dépit des signes de reprise économique, les BAII des stations privées bénéficiaires du FAPL, si on exclut les sommes provenant de celui-ci, demeurent négatifs.

Je m’attends à ce que les clients des EDR qui paient davantage depuis la mise en place du FAPL soient heureux de voir leur facture réduite à la suite de la présente décision. Je crois cependant qu’ils auraient été vraisemblablement plus heureux encore de pouvoir profiter d’un plus grand nombre d’émissions locales de meilleure qualité, comme il était prévu dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100. Malheureusement, on ne permettra pas que cela se produise.

Je conviens avec mes collègues que l’ensemble de l’industrie de la radiodiffusion doit évoluer et innover afin de continuer à offrir de la programmation locale de grande qualité, que ce soit au moyen de types traditionnels de programmation offerts par les stations locales, ou autrement. Je crois qu’une programmation locale forte, tant dans les marchés métropolitains que dans les marchés non métropolitains, constituera la base de cette innovation.

En résumé, le FAPL, tel que prévu dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, n’a jamais été mis en place. À mon avis, on a omis de prouver au cours de cette instance que les besoins des Canadiens des marchés non métropolitains, tels qu’ils ont été identifiés dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, ont été traités adéquatement. De plus, les conditions économiques de l’ensemble de ces marchés sont toujours difficiles et le demeureront sans doute, du moins à court terme. Par conséquent, j’estime que la décision de la majorité est prématurée. J’aurais préféré que le FAPL, tel que prévu dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, c’est-à-dire avec l’exigence de dépenses additionnelles, poursuive ses activités pour une période de trois ans à compter du 1er septembre 2012 et qu’une évaluation complète soit faite durant la troisième année de son exploitation, en vue de déterminer s’il devrait être conservé, modifié ou dissout.

Opinion minoritaire de la conseillère Suzanne Lamarre

1. Je suis respectueusement en désaccord avec la décision prise par la majorité. La manière dont celle-ci a été rendue est selon moi non conforme avec les pouvoirs délégués et les obligations imposées par le législateur au CRTC. Il est donc impossible pour moi de l’appuyer.

La mission du Conseil et ses obligations

2. Le Conseil a notamment comme mission de réglementer et de surveiller le système canadien de radiodiffusion et c’est dans le cadre de cette mission que s’inscrivait l’examen du Fonds sur l’amélioration de la programmation locale (ci-après FAPL ou « le Fonds »). Or cette mission doit être remplie selon des modalités spécifiques prévues principalement par la Loi sur la radiodiffusion (ci-après « la Loi »). Qu’en est-il de ces modalités?

3. Tout d’abord, révisons les dispositions législatives et les obligations du Conseil les plus pertinentes compte tenu de la décision que le Conseil devait prendre. Elles se déclinent selon moi sous trois tableaux : la forme, soit l’article 5 de la Loi; la finalité, soit le paragraphe 3(1) de la Loi; et les obligations complémentaires, soit l’article 41 de la Loi sur les langues officielles et les politiques déjà établies par le Conseil.

La forme

5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, ainsi que de la Loi sur la radiocommunication et des instructions qui lui sont données par le gouverneur en conseil sous le régime de la présente loi, le Conseil réglemente et surveille tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en œuvre la politique canadienne de radiodiffusion.

(2) La réglementation et la surveillance du système devraient être souples et à la fois :

a) tenir compte des caractéristiques de la radiodiffusion dans les langues française et anglaise et des conditions différentes d’exploitation auxquelles sont soumises les entreprises de radiodiffusion qui diffusent la programmation dans l’une ou l’autre langue;

b) tenir compte des préoccupations et des besoins régionaux;

c) pouvoir aisément s’adapter aux progrès scientifiques et techniques;

d) favoriser la radiodiffusion à l’intention des Canadiens;

e) favoriser la présentation d’émissions canadiennes aux Canadiens;

f) permettre la mise au point de techniques d’information et leur application ainsi que la fourniture aux Canadiens des services qui en découlent;

g) tenir compte du fardeau administratif qu’elles sont susceptibles d’imposer aux exploitants d’entreprises de radiodiffusion.

(3) Le Conseil privilégie, dans les affaires dont il connaît, les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion en cas de conflit avec ceux prévus au paragraphe (2). [je souligne]

4. À la lumière du paragraphe 5(2) de la Loi, il convient de conclure qu’au moment de prendre les mesures nécessaires pour remplir sa mission de surveillance du système canadien de radiodiffusion, le Conseil doit tenir compte des réalités distinctes des communautés de langue anglaise et de langue française, en situation majoritaire ou non, considérer les besoins de toutes les régions, préserver les possibilités d’innovation, favoriser la diffusion d’émissions pour et par des Canadiens, et tenir compte du fardeau administratif qui pourrait en découler pour les entreprises de radiodiffusion.

5. Puisque le Conseil a comme mission la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion décrite au paragraphe 3(1) de la Loi, c’est en toute logique que le paragraphe 5(3) prévoit qu’en cas de conflit entre la forme (para. 5(2) de la Loi) selon laquelle le Conseil doit prendre ses décisions et les objectifs de la politique qu’il doit atteindre (para. 3(1) de la Loi), les objectifs de la politique prévaudront.

La finalité

6. Revoyons maintenant les parties du paragraphe 3(1) les plus pertinentes en l’espèce.

3. (1) Il est déclaré que, dans le cadre de la politique canadienne de radiodiffusion :

(…)

b) le système canadien de radiodiffusion, composé d’éléments publics, privés et communautaires, utilise des fréquences qui sont du domaine public et offre, par sa programmation essentiellement en français et en anglais, un service public essentiel pour le maintien et la valorisation de l’identité nationale et de la souveraineté culturelle;

c) les radiodiffusions de langues française et anglaise, malgré certains points communs, diffèrent quant à leurs conditions d’exploitation et, éventuellement, quant à leurs besoins;

d) le système canadien de radiodiffusion devrait :

(i) servir à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada,

(ii) favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées, des valeurs et une créativité artistique canadiennes, qui mette en valeur des divertissements faisant appel à des artistes canadiens et qui fournisse de l’information et de l’analyse concernant le Canada et l’étranger considérés d’un point de vue canadien,

(…)

e) tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière qui convient, à la création et la présentation d’une programmation canadienne;

(…)

i) la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion devrait à la fois :

(i) être variée et aussi large que possible en offrant à l’intention des hommes, femmes et enfants de tous âges, intérêts et goûts une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit,

(ii) puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales,

(…)

(iv) dans la mesure du possible, offrir au public l’occasion de prendre connaissance d’opinions divergentes sur des sujets qui l’intéressent,

(…)

(2) Il est déclaré en outre que le système canadien de radiodiffusion constitue un système unique et que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome. [je souligne]

Les obligations complémentaires

7. Le Conseil a aussi des obligations en vertu de l’article 41 de la Loi sur les langues officielles, dont l’extrait pertinent se lit comme suit :

41. (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en œuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en œuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces. [je souligne]

8. Notons que l’Honorable Luc Martineau soulignait récemment dans une décision de la Cour fédérale que le CRTC fait partie des institutions fédérales visées par le paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles et concluait qu’il n’y a aucune incompatibilité entre les objectifs imposés par le Parlement en vertu de la Loi sur la radiodiffusion et ceux imposés en vertu de la Loi sur les langues officielles1.

9. Finalement, puisque le Conseil devait dans la présente ‘instance procéder au réexamen du FAPL, il faut aussi, par souci de prévisibilité, considérer les objectifs du Fonds et les attentes initiales exprimées par le Conseil à son égard. Le lecteur a le loisir de relire la totalité du texte original à ce sujet2. Je tiens à attirer l’attention ici sur deux extraits qui sont fondamentaux pour la présente décision, soit les paragraphes 359, 380 et 381.

Principaux objectifs du FAPL (Paragraphe 359)

359.  Les principaux objectifs du FAPL sont les suivants :

Évaluation du FAPL (Paragraphes 380 et 381)

380.  En plus d’exiger la présentation de rapports annuels, le Conseil procédera, par voie de processus public au terme de trois années d’exploitation, à une évaluation complète du FAPL. Ce processus public aura comme objectif de recueillir des preuves supplémentaires permettant de déterminer si le FAPL a rempli ses objectifs. Les critères quantifiables aux fins de cette évaluation pourraient inclure les suivants :

381.  À la suite de cette évaluation exhaustive, qui tiendra aussi compte de la transition des télédiffuseurs du mode analogique au mode numérique et de son incidence, le Conseil décidera si le FAPL doit conserver sa forme initiale, être modifié ou abandonné.

10.  De ces différentes dispositions, on dégage les principes directeurs qui doivent guider et animer le Conseil dans la présente décision. Ainsi, le Conseil doit considérer le système de radiodiffusion comme formant un tout dont on ne peut dissocier les parties les unes des autres, mais que l’on doit plutôt agencer les unes aux autres pour s’assurer qu’il offre dans son ensemble une programmation variée pour tous, et non simplement une programmation qui plaira à une majorité, programmation qui servira à sauvegarder, enrichir et renforcer la structure culturelle, politique, sociale et économique du Canada grâce à la création et à la diffusion de son contenu. Pour atteindre les objectifs visés, la programmation offerte devra puiser à des sources diversifiées dans le temps et dans l’espace.

L’analyse faite par le Conseil pour conclure à l’abolition du FAPL

11.  Pour arriver à une décision dans le respect de ses pouvoirs et de ses obligations, le Conseil doit analyser la preuve qu’il a devant lui et en tirer les conclusions qui sont conformes aux principes décrits ci-dessus.

12.  Or, avant même d’arriver aux principes applicables, l’analyse de la preuve faite par la décision majoritaire dans la section intitulée « Positions des parties » est déficiente à deux niveaux selon moi : d'abord, elle est incomplète; ensuite, le poids accordé aux différentes interventions n’est pas conforme aux principes directeurs de la Loi sur la radiodiffusion.

Analyse détaillée de la preuve

13.  L’analyse de la preuve faite par le Conseil dans la décision majoritaire souligne partiellement les positions des parties suivantes3 : les entreprises intégrées verticalement (4 intervenants), les edr indépendantes et leurs représentants (8 intervenants), les petits radiodiffuseurs et leurs représentants qui soutiennent le fapl (19 intervenants, dont certains ne bénéficiaient pas au moment de l’audience du fapl), la src, le milieu de la production (20 intervenants) et les diverses associations communautaires représentant les closm 4 (13 intervenants). Ceci représente un total de 65 intervenants.

14.  Cette analyse de quelque 65 interventions est incomplète pour trois raisons: d’abord pour les intervenants qui ont été retenus, certains sont représentés de manière incomplète; ensuite parce que seulement 65 interventions sur un total de 1 3525 déposées auprès du Conseil ont été retenues aux fins d’analyse par le Conseil, soit à peine 4.8 % du total reçu; finalement, des catégories entières d’intervenants ont été simplement exclues de l’analyse. Nous tenterons de compléter le portrait avec ce qui suit.

15.  Les intervenants retenus dans l’analyse de la majorité ont dit beaucoup plus que ce qui y a été décrit, et ce « plus » est pertinent au dossier en l’espèce. À titre d’exemple, alors que les petits radiodiffuseurs indépendants appuient le FAPL, certains d’entre eux qui bénéficient présentement du Fonds demandent que la SRC n’y soit plus admissible, ajoutant ainsi leurs voix à celles de Shaw, Rogers et QMI. Il en va de même pour la presque totalité des EDR indépendantes, sans que ce ne soit précisé dans le texte de la décision majoritaire. Par ailleurs, certains radiodiffuseurs indépendants qui bénéficient actuellement du Fonds ont choisi de rester neutres sur cette question. La décision majoritaire omet de préciser quels radiodiffuseurs indépendants ne sont pas présentement admissibles au Fonds et pourquoi ils demandent à le devenir.

16.  Parmi les 1 287 interventions (95,2 % du total) qui n’ont pas été considérées dans l’analyse des positions des parties dans la décision majoritaire, notons les interventions faites par des particuliers (972 interventions), celles des élus municipaux, provinciaux et fédéraux (46 interventions), des membres des communautés universitaire et collégiale (13 interventions), des exploitants de stations de radio (4 interventions), et celles d’un ensemble varié d’intervenants (250 interventions) liés d’une manière ou d’une autre au monde des affaires ou à la communauté culturelle, notamment des PME, chambres de commerce, commerces de détail, organisations culturelles locales, quotidiens de la presse écrite, fondations et organismes de charité, organismes touristiques, syndicats d’employés, commissions de développement économique régional, groupes sportifs et entreprises de communication et marketing. Finalement, n’ont pas été considérées non plus dans la décision majoritaire les interventions déposées par deux intervenants experts pourtant bien connus au Conseil, le Commissaire aux langues officielles et PIAC.

17.  Les interventions faites par les particuliers regroupent des gens de tous les horizons. Rapidement, de manière non exhaustive et dans aucun ordre particulier, notons qu’on y trouve, des agriculteurs, retraités, salariés, professeurs de tous les niveaux dont certains enseignent le français comme langue seconde ou en immersion, étudiants de niveau collégial et secondaire, travailleurs autonomes, parents à la maison, avocats, infirmières et infirmier, pompier retraité, conseillers financiers, médecin, sportifs amateurs et responsables de services d’urgence.

18.  Parmi les interventions déposées par quatre stations de radio, trois appuient le Fonds et CHCH-TV6 et la quatrième provient d’un exploitant de radio qui appuie aussi le fonds mais ne réfère pas à chch-tv7.

19.  Le total de 1 3528 interventions déposées et acceptées par le conseil se divise en 1 275 lettres9 et 77 mémoires10 et provient de toutes les provinces et territoires sauf un11.

20.  Il ne suffit pas de compter les interventions et de les séparer par catégories d’intervenants et types de documents pour comprendre complètement de quoi il retourne. Regardons de plus près comment les interventions se distinguent les unes des autres quant à certains points qui devraient normalement influencer la décision du Conseil compte tenu des objectifs de la Loi, notamment l’identité linguistique des intervenants, la provenance des interventions de CLOSM ou non, la position tarifaire des intervenants au sujet du Fonds, l’admissibilité de la SRC au Fonds, et le soutien ou non pour la continuité du Fonds.

21.  Une précision préliminaire s’impose en ce qui concerne les interventions faites par les particuliers et les intervenants liés au monde des affaires. Channel Zero, propriétaire de la station de télévision CHCH-TV Hamilton, est le champion toutes catégories confondues en ce qui concerne les appuis reçus pour cette audience. Un total de 689 interventions en appui à CHCH-TV a été déposé par des particuliers (672 interventions) et par des PME (17 interventions), aucune d’entre elles n’exprimant explicitement une position sur la pertinence du FAPL. J’estime que le simple fait que ces interventions aient été faites en appui à CHCH constitue un appui implicite à la continuité du Fonds. Je me garde cependant d’amalgamer cet appui implicite avec les appuis ou oppositions explicites. J’apporte cette précision pour souligner l’apport de ces interventions, non pas pour les disqualifier. Il faut être conscient de l’ampleur de la mobilisation que CHCH-TV a suscitée pour considérer objectivement le poids que l’on doit donner à l’ensemble des interventions reçues.

22.  Étant donné que la question du soutien à la continuité du Fonds est centrale, elle sera traitée au fur et à mesure à l’intérieur de chacune des sections d’analyse qui suivent avant d’être traitée de manière autonome à la fin.

23.  Il y a aussi 32 interventions qui ne portent pas sur les sujets traités par l’audience de manière suffisamment claire pour être catégorisées dans cette analyse détaillée. Bien que ces 32 interventions ne soient pas comptabilisées dans l’analyse qui suit et qui porte sur les 1 320 interventions catégorisées, il n’en demeure pas moins que les commentaires généraux qu’elles contiennent ont été considérés lors de ma réflexion.

Identité linguistique des intervenants

24.  1 004 interventions ont été faites en anglais, 312 ont été faites en français, et quatre dans les deux langues12.

25.  Sur les 1 004 interventions faites en anglais, on retrouve 276 intervenants qui veulent que le Fonds soit conservé, 26 qui veulent qu’il soit éliminé, 689 qui appuient CHCH-TV sans se prononcer explicitement sur la continuité du Fonds, quatre qui en font de même pour CHEK-TV Victoria et neuf qui n’ont pas d’opinion explicite.

26.  Du côté français on retrouve 308 intervenants qui veulent que le FAPL soit conservé, un seul qui veut qu’il soit éliminé13, deux qui appuient CHCH sans prendre position explicitement au sujet du Fonds, et un qui n’a aucune opinion explicite.

27.  Tous les intervenants qui ont déposé des interventions dans les deux langues officielles préconisent la continuité du FAPL.

Provenance des interventions et les CLOSM

28.  Quatre interventions proviennent de personnes ou d’organismes issus des CLOSM de langue anglaise et 78 des CLOSM de langue française. Toutes ces interventions, sans exception, demandent le maintien du FAPL.

29.  Par ailleurs, trois des quatre interventions faites dans les deux langues plaident pour le maintien du FAPL pour le soutien de la programmation locale au sein des CLOSM, nommément le Commissaire aux langues officielles, On Screen Manitoba et la SRC, la quatrième n’exprimant aucune opinion particulière sur le sujet. De plus, quatre intervenants non issus de CLOSM ont pris la peine de souligner l’importance qu’ils accordaient au soutien du FAPL pour les CLOSM.

La position tarifaire

30.  Peu d’intervenants ont directement traité de la question du « tarif » du FAPL. Rappelons qu’initialement il a été établi à 1 % des revenus bruts des EDR14 et a été majoré à 1,5 % en 200915. Voyons ce qu’en pensent les intervenants.

31.  Vingt-sept intervenants ont demandé l’élimination du Fonds. Certains ont discuté de méthode de retrait progressif et d’autres ont soumis une position subsidiaire, par exemple un maintien du Fonds mais avec un tarif plus faible et une admissibilité plus restreinte. Mais quoi qu’il en soit, j’estime qu’on peut raisonnablement conclure que pour ces 27 intervenants, la position tarifaire souhaitée est 0 %.

32.  Vingt-neuf autres intervenants se sont exprimés explicitement au sujet du tarif du FAPL en présumant qu’il serait maintenu. Vingt-huit d’entre eux étaient en faveur du maintien du Fonds avec les mêmes objectifs, le dernier étant en faveur du maintien du Fonds tout en proposant des ajustements aux objectifs règles d’admissibilité. Parmi ces 29 intervenants, deux proposaient une majoration du tarif à 2,5/ %16, la majorité, soit 25 intervenants proposaient le maintien du tarif à 1,5 %, un précisait qu’il était prêt à payer pour garder CHCH mais sans préciser combien et le dernier, un particulier, estimait qu’une majoration de 1 $, 2 $ ou 3 $ du paiement mensuel qu’il verse déjà aux EDR était acceptable pour obtenir une programmation locale de qualité.

33.  1 294 intervenants, soit plus de 95 %, n’ont pas ressenti la nécessité de se prononcer explicitement sur ce sujet. Toutefois, un de ces intervenants doit absolument être mentionné puisque le fait de simplement le compter parmi ceux qui n’ont pas explicitement choisi une position tarifaire ne lui rend pas justice. Il s’agit du Public Interest Advocacy Center (ci-après PIAC)17.

34.  L’intervention de PIAC est particulièrement intéressante puisque cet organisme n’est jamais timide pour faire valoir les intérêts des consommateurs et qu’il s’est abstenu ici de proposer une tarification précise. Dans le cadre de cette audience, PIAC a souligné l’importance de la programmation locale et du Fonds pour l’atteinte des objectifs de la Loi et l’intérêt que les consommateurs portent à la programmation locale.

35.  L’organisme s’est ainsi exprimé à l’audience :

[Traduction] En se penchant maintenant sur la performance du Fonds, il appert, en se basant sur le dossier public de la présente instance, que le Fonds atteint l’ensemble de ses objectifs, soit, de faire en sorte que les téléspectateurs des plus petits marchés canadiens continuent de recevoir une diversité de programmation locale, en particulier des émissions de nouvelles locales, et d’améliorer la qualité et la diversité de la programmation locale diffusée dans ces marchés; et de veiller à ce que les téléspectateurs des marchés de langue française ne soient pas désavantagés par la taille réduite de ces marchés.18.

[Traduction] Selon nous, la plupart des consommateurs appuient ces objectifs et estiment que la programmation locale est un élément important du service de télévision.19 [je souligne]

36.  PIAC n’a cependant pas manqué l’occasion de protester contre la manière dont plusieurs EDR avaient facturé directement à leurs clients le montant versé au Fonds, allant ainsi à l’encontre de la conclusion et des attentes du Conseil en 2008. PIAC a aussi noté que le Fonds ne devrait pas servir uniquement à assurer l’état actuel de la programmation locale mais à la bonifier et que le Conseil devrait mettre en place les mécanismes nécessaires pour le vérifier.

37.  Au final, PIAC conclut que le Fonds sert les objectifs de la Loi mais demande au Conseil de faire en sorte que son financement provienne de la marge bénéficiaire des EDR et non pas qu’il soit facturé directement aux clients des EDR.

38.  Ce qui se dégage de la preuve selon moi au sujet du tarif du FAPL est fort simple. Pour ceux qui appuient le Fonds, qui veulent le maintenir, qui soutiennent et apprécient la programmation locale offerte dans leur région ou pour ceux qui n’ont aucune opinion tranchée sur la pertinence du FAPL, la question du tarif ne retient pas leur attention. Par contre comme le souligne PIAC, le fait que de nombreuses EDR aient refilé la note directement au consommateur contrairement aux attentes exprimées par le Conseil en 2008 est pour le moins irritant, d’autant plus que selon PIAC la situation financière et organisationnelle des EDR justifiait l’attente du Conseil à l’effet contraire.

L’admissibilité de la SRC au FAPL

39.  Excluant la SRC qui de toute évidence plaide elle-même pour le maintien de son admissibilité au Fonds, je note que 154 intervenants se sont prononcés explicitement sur la question. Seize intervenants demandent que le Fonds, s’il est maintenu, ne soit plus accessible à la SRC. 138 intervenants demandent à ce que la SRC continue à être admissible au Fonds.

40.  Le portrait de ceux qui veulent refuser à la SRC l’accès au Fonds est très différent de celui de ceux qui veulent lui en permettre l’accès.

41.  Les opposants se composent principalement d’intervenants de langue anglaise (14 sur 16) et majoritairement d’entreprises, EDR et radiodiffuseurs, (11 sur 16) plutôt que de particuliers ou de leurs représentants (5 sur 16). Aucun des opposants n’est associé ou issu d’une CLOSM.

42.  Les partisans de l’admissibilité de la SRC au FAPL sont majoritairement francophones (111 francophones, 25 anglophones et 2 bilingues), et se composent d’une variété d’intervenants plus étendue que les opposants. On y retrouve des intervenants liés d’une manière ou d’une autre au monde des affaires ou à la communauté culturelle, des associations communautaires et de développement régional des représentants de l’industrie de la production, des particuliers, des élus, des membres des communautés collégiale et universitaire, une entreprise verticalement intégrée, nommément BCE, et, sans grande surprise, le Commissaire aux langues officielles. Notons aussi que 41 des intervenants (37 de langue française, 3 de langue anglaise et un bilingue), sur les 138 qui appuient l’admissibilité de la SRC au FAPL, proviennent des CLOSM ou les soutiennent.

43.  Finalement, autant chez les intervenants de langue anglaise que de langue française, je dénote plus d’appuis que d’oppositions quant à l’admissibilité de la SRC au FAPL (25 pour et 16 contre pour du côté anglophone et 111 pour et 14 contre du côté francophone).

La continuité ou non du FAPL

44.  Finalement, quel est donc le portrait global des intervenants qui préfèrent éliminer le Fonds et celui de ceux qui veulent le maintenir?

45.  Les 27 intervenants qui veulent que le FAPL soit éliminé sont, à une exception près, anglophones20; ils regroupent toutes les EDR qui se sont exprimées sauf une, ainsi que 3 des 4 entreprises intégrées verticalement, comptent 15 particuliers (55 %) et un représentant du monde des affaires non lié au milieu de la radiodiffusion. On n’y compte aucun représentant des CLOSM, aucun élu, ni représentant du milieu académique.

46.  Les 586 intervenants qui demandent explicitement à ce que le FAPL soit maintenu sont répartis entre anglophones et francophones dans une proportion de 30 % et 70 % respectivement21 et se composent à 42 % de particuliers ainsi que d’un éventail varié de représentants des communautés d’affaires et culturelles. Tous les élus et représentants d’institutions gouvernementales provinciales et fédérale qui ont déposé une intervention appuient le FAPL, de même que les représentants du milieu académique et de la production ainsi que les syndicats d’employés liés au milieu de la radiodiffusion. Les radiodiffuseurs qui bénéficient actuellement du Fonds, dont la SRC, sont en faveur de son maintien, à l’exception de trois qui sont par ailleurs une composante d’une entreprise verticalement intégrée. Les radiodiffuseurs indépendants et communautaires qui ne bénéficient pas actuellement du FAPL sont aussi en faveur de sa continuité, mais proposent des conditions d’admissibilité différentes. BCE, qui est aussi bénéficiaire du Fonds en tant qu’entreprise verticalement intégrée, est la seule EDR qui soit intervenue en faveur de la continuité du FAPL. Enfin, tous les représentants des CLOSM qui sont intervenus appuient le Fonds.

Conclusion générale au sujet de l’analyse des interventions

47.  Nous pouvons aller chercher dans cette preuve un appui à toutes les positions possibles puisqu’elles sont toutes représentées. Cependant, nous n’avons pas le loisir en tant qu’organisme de régulation de faire une sélection restrictive. Nous devons en dégager les tendances et retenir les plus importantes qui ont pour effet, compte tenu du contexte et des circonstances, d’atteindre de la meilleure manière possible les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion. Pour y arriver, la manière de faire la réflexion nécessaire pour pondérer la preuve et prendre la décision est déterminante.

Pondération de la preuve

48.  Dans un premier temps, nous devons, selon moi, prendre bonne note de certains propos tenus par les auteurs Issalys et Lemieux dans leur ouvrage sur l’action gouvernementale22. Ils y font une mise en garde que j’estime pertinente au sujet de la prise de décision par un organisme de régulation tel que le CRTC.

49.  Ils soutiennent que la nécessité de recourir à des experts dans la composition des organismes de régulation comporte son lot d’avantages, mais aussi d’inconvénients. Ainsi, ces auteurs affirment que « [d]es difficultés surgissent cependant dans la mesure où ces experts proviennent du secteur d’activité qu’il s’agit précisément de surveiller »23 ce qui entraînerait un risque de partialité. toujours selon les auteurs, « [l]e risque subsiste, en effet, de voir l’organisme de régulation complètement imprégné par les valeurs, les mentalités, les intérêts et les perspectives du milieu qu’il a pourtant pour mission de surveiller sur la base de l’intérêt public »24. [je souligne]

50.  Ce qui m’intéresse dans cet extrait ce n’est pas tant la notion de la composition de l’organisme que la conclusion que les auteurs tirent de cette notion, voire le risque d’être complètement « imprégné par les valeurs, les mentalités, les intérêts du milieu »25 que nous avons pour mission de surveiller dans l’intérêt public. À titre de titulaire d’une charge publique au sein d’un organisme de régulation et étant moi-même issue du milieu que j’ai pour mission de surveiller, je lis cette conclusion comme un rappel de mon devoir vis-à-vis l’intérêt public et une mise en garde contre la tentation de conclure hâtivement que l’intérêt public est nécessairement servi directement par l’intérêt du milieu. Non pas que ces intérêts soient nécessairement divergents, sinon la mission de surveillance serait carrément impossible. Cependant, l’intérêt du milieu, tout en étant partie à l’intérêt public, n’en est pas l’unique composante. Ainsi, les dosages des intérêts de tous les participants au processus public devront être établis par l’organisme de régulation et justifiés de manière à préserver, protéger et assurer l’intérêt public.

51.  D’où la nécessité absolue de considérer tous les intérêts en présence et soumis en preuve, ce qui, je le soumets respectueusement, n’a pas été fait dans la décision majoritaire.

52.  Par ailleurs, le processus décisionnel d’un organisme de régulation est, j’en conviens, différent de celui d’un tribunal judiciaire et même d’un tribunal administratif et c’est pourquoi nous devons y apporter une attention toute particulière. Selon les fonctions qu’il remplit, le Conseil, qui est avant tout un tribunal administratif, agit parfois en sa capacité d’organisme de régulation. C’est le cas dans la présente situation et c’est dans ce contexte que je fais miens ici les propos des auteurs Issalys et Lemieux :

Par ailleurs, le processus décisionnel des organismes de régulation est en général plus complexe que celui des tribunaux administratifs. Il porte en effet sur des situations économiques mettant en cause une multiplicité d’intérêts : concurrents, fournisseurs, clients, consommateurs, collectivités territoriales, groupements d’intérêts ou de conviction divers (associations écologistes, groupements culturels, groupes de défense de catégories vulnérables, syndicats, associations professionnelles, etc.).26 [je souligne]

(…)

À cet égard, l’organisme de régulation se trouve placé dans une situation bien différente de celle d’un tribunal judiciaire ou de la plupart des tribunaux administratifs. Il n’est pas exclusivement tributaire de la « preuve » faite devant lui par les administrés. Il peut compter non seulement sur les compétences spécialisées de ses membres, mais aussi sur des ressources humaines et matérielles souvent importantes qui lui sont confiées pour l’exécution de sa mission de régulation.27 [je souligne]

53.  On se retrouve ici devant l’exemple académique décrit par les auteurs. L’ensemble de la documentation et de la preuve dont nous disposions pour rendre notre décision tient, entre les interventions déposées, les rapports qualitatifs des radiodiffuseurs de 2010 et 2011, les états financiers du FAPL, les états financiers de certains intervenants, les observations finales et engagements déposés par les parties présentes à la comparution, sur un total approximatif de 4 359 pages, alors que la phase comparante de l’audience publique représente quant à elle 1 647 pages de transcription.

54.  S’il est vrai que nous ne sommes pas tributaires exclusivement de la preuve faite devant nous par les administrés, nous ne pouvons pas pour autant en faire abstraction. Elle doit impérativement faire partie des éléments considérés. Les compétences spécialisées des membres qui composaient le comité d’audition ne suffisent pas en elles-mêmes pour motiver une décision. Or le résumé de l’ensemble de cette preuve se détaille dans la décision majoritaire du Conseil sur un maigre quatorze paragraphes qui forment un total de trois pages. On doit conclure que la preuve ne peut pas avoir été correctement analysée pour être rendue de manière si extraordinairement concise.

55.  Pour mener à bien la mission qui lui est confiée, il faut selon moi que le Conseil considère d’abord l’intérêt public pour ensuite amener l’intérêt du milieu réglementé à le rencontrer. Comment arriver à cette mise en œuvre et en valeur de l’intérêt public dans le contexte actuel?

56.  Or la décision majoritaire a uniquement considéré le troisième point sans y concilier l’essentiel des deux premiers points qui doivent être le fondement même de toute décision du Conseil. Les positions du milieu réglementé qui, par ailleurs, étaient polarisées, sont les seules à avoir été retenues dans la décision. Pour arriver à cette conclusion, je me fonde sur l’absence de référence aux objectifs de la Loi sur la radiodiffusion dans l’analyse et la décision du Conseil, sur les observations très limitées au sujet des interventions dont sont exclus notamment tous les particuliers, bref le public, qui ont individuellement contribué au processus et sur les lacunes dans la description de la preuve faite dans la décision majoritaire, preuve que j’ai tenté de compléter ci-dessus.

57.  Dans le cas présent, les intérêts du milieu réglementé étaient clairement polarisés de manière prévisible entre ceux qui recevaient du Fonds et ceux qui servaient à verser l’argent au Fonds. La décision majoritaire a choisi un de ces deux pôles, sans égard pour les positions exprimées par ceux et pour ceux qui ne sont pas réglementés par la Loi mais qui en sont les bénéficiaires désignés, soit les hommes et femmes de tous âges, goûts et intérêts à qui le système de radiodiffusion doit offrir une programmation équilibrée qui renseigne, éclaire et divertit28. Devant une preuve contradictoire, on doit effectivement faire un choix entre 2 positions. Mais nous n’étions pas ici devant un débat contradictoire. Nous étions devant un débat de politique publique à l’issue duquel nous devions faire émerger de la preuve et de nos connaissances spécialisées la meilleure solution possible dans l’intérêt public. À cette tâche la décision majoritaire a échoué puisqu’il n’a retenu qu’une parcelle des informations et de la preuve qui lui ont été soumises. C’est d’autant plus incompréhensible qu’une grande partie de ce qui a été ignoré est précisément ce qui est déterminant dans l’exécution de notre mission : l’intérêt du public.

58.  Les conclusions de la décision majoritaire selon lesquelles le FAPL peut et doit être aboli ne reposent sur aucune justification basée sur la totalité de la preuve, ni sur l’application des principes directeurs qui doivent guider et animer sa réflexion. En ce qui concerne ce dernier point, l’évidence saute aux yeux. En effet, on ne fait nulle part dans la décision majoritaire référence à l’incidence de la décision prise sur la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion, pas plus qu’aux obligations du Conseil en vertu de la Loi sur les langues officielles.

59.  Les objectifs initiaux du Fonds et la façon qui lui aurait permis de les atteindre ne sont pas considérés non plus. Un exemple à ce sujet concerne l’absence de mention et d’analyse pour les très nombreuses interventions déposées par les particuliers. Alors que le paragraphe 380 de l’avis public de radiodiffusion 2008-100 énonce que le succès du Fonds serait évalué entre autres sur des « preuves quantifiables de la satisfaction de l’auditoire, par exemple des sondages d’opinion », la décision majoritaire n’a retenu aucune des 972 interventions déposées par des particuliers, que ce soit leur nombre ou leur contenu. Ce n’est pas un sondage d’opinion certes, mais le sondage d’opinion n’était qu’une preuve possible parmi d’autres. Les commentaires personnalisés apportent des précisions que les sondages ne pourront jamais nous donner et sont, selon moi des « preuves quantifiables [et j’ajouterais qualifiables] de la satisfaction de l’auditoire ». On prévoyait aussi vérifier le nombre de reportages locaux et leur augmentation. Mais on ne trouve aucune référence aux rapports qualitatifs déposés par les radiodiffuseurs qui ont bénéficié du Fonds, ni aux commentaires faits par les radiodiffuseurs et les syndicats au cours de l’audience au sujet de l’équilibre recherché entre la quantité objective des reportages et leur qualité subjective.

60.  En ce qui concerne les lacunes de l’évaluation de la preuve dans la recherche des conclusions, je me permets de souligner l’incongruité de deux affirmations trouvées dans le texte de la décision majoritaire.

61.  D’abord, dans la première phrase du paragraphe 15 de la décision majoritaire, le « Conseil estime que le succès en question [du FAPL] a été atteint en majeure partie aux frais des Canadiens qui paient les abonnements dont découle ultimement le financement du FAPL ». Cette affirmation sert, dans ce contexte, à justifier l’abolition du FAPL. On omet cependant de fournir et de retenir l’opinion des Canadiens eux-mêmes sur ce sujet et celle d’un de leur représentant, PIAC.

62.  Ensuite, et malgré le fait que le dossier public soit très étoffé sur ce sujet, la décision majoritaire dispose, à son paragraphe 17, de la programmation offerte aux CLOSM et de l’effet du FAPL sur cette offre en renvoyant tout le monde à une audience subséquente, soit celle du renouvellement de licence de la SRC. Ce faisant, plusieurs erreurs sont commises.

63.  La première consiste à rejeter, après avoir à tout le moins reconnu leur existence au paragraphe 13 de la décision majoritaire, l’ensemble des interventions provenant des CLOSM. La deuxième, c’est l’absence de mention et de considération des commentaires du Commissaire aux langues officielles. Dans ce contexte, je ne m’explique pas qu’on puisse laisser de côté sans même y faire allusion les commentaires de l’institution fédérale chargée de la reconnaissance et de la promotion des deux langues officielles au Canada29.

64.  La troisième erreur consiste à ne pas soulever la problématique identifiée par les CLOSM de langue anglaise. Nous avons pourtant reçu trois interventions à ce sujet, en sus de celle du Commissaire aux langues officielles, deux groupes ont comparu à l’audience pour en discuter et pas une seule phrase ne se retrouve à la décision majoritaire pour en faire état. Que l’on soit d’accord ou non avec les positions des intervenants n’est pas le propos. Le propos c’est qu’avant de pouvoir décider être d’accord ou non avec les positions mises de l’avant, encore faut-il les considérer.

65.  Et finalement, la quatrième erreur est de limiter le débat au sujet de la programmation locale offerte aux CLOSM à la seule programmation de la SRC. Sans vouloir remettre en question son importance vitale30, un fait incontournable demeure : les diffuseurs privés généralistes participent aussi activement à cette offre. dans les closm de langue anglaise, bce (ctv, cfcf-dt) et shaw (global, ckmi-dt) sont bel et bien présents et ont des responsabilités à cet égard puisqu’ils doivent, par condition de licence31, offrir une programmation locale à montréal. dans les closm de langue française, la contribution de télé inter-rives dont le rayonnement s’étend au nouveau-brunswick n’est plus à démontrer et est soulignée par les intervenants32. Pour assurer la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion et remplir nos obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles, ces situations de fait doivent être reconnues et encouragées par le Conseil et non passées sous silence.

Conclusion

66.  À la lumière de tout ce qui précède, j’estime que, dans la décision majoritaire, on n’a pas tenu compte de la preuve présentée comme on a le devoir incontournable de le faire dans le respect des obligations et des pouvoirs du Conseil et que cette décision a été prise sans égard pour les obligations du Conseil en vertu de la Loi sur les langues officielles ni pour les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion. Il m’est donc impossible de l’appuyer.

Opinion minoritaire de la conseillère Louise Poirier

Avec tout le respect que je dois pour l’opinion majoritaire exprimée par mes collègues du Conseil, je désire me dissocier33 de cette décision puisque j’aurais maintenu le fonds pour l’amélioration de la programmation locale (fapl ou le fonds) pour les trois prochaines années en l’améliorant et en réduisant34 la contribution des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) de 1,5 % à 1 % à compter du 1er janvier 2013. Une revue du FAPL aurait pu être entreprise en 2016. À mon humble avis, ma position respecte davantage la mise en œuvre des objectifs de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), la preuve déposée devant le Conseil dans le cadre de cette instance ainsi que l’intérêt de l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.

Un rappel des objectifs et des étapes de la création du FAPL

Le FAPL a été établi dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100 car le Conseil reconnaissait que la situation financière de la télévision locale traditionnelle avait considérablement changé au cours des dix dernières années avec la multiplication des choix entre les émissions canadiennes et non canadiennes que distribuent les entreprises par satellite de radiodiffusion directe (SRD), les EDR terrestres numériques et d’autres médias numériques. Cette situation a eu pour effet de fragmenter l’auditoire, particulièrement celui des marchés non métropolitains. On peut résumer ainsi les trois objectifs initiaux du FAPL :

  1. Faire en sorte que les téléspectateurs dans les petits marchés canadiens (moins d’un million de population) continuent à recevoir une diversité d’émissions locales, en particulier d’émissions de nouvelles locales;
  2. Améliorer la qualité et la diversité des émissions locales diffusées dans ces marchés;
  3. Veiller à ce que les téléspectateurs des marchés de langue française ne soient pas désavantagés par la taille réduite de ces marchés.

On avait alors remarqué que dans les marchés de moins d’un million de population, les dépenses en émissions locales avaient diminué de 15,6 % depuis 1998, situation encore plus problématique dans les marchés de langue française étant donné leur petite taille. Le Conseil avait décidé de faire passer la contribution des EDR de 5 % à 6 % des revenus bruts provenant d’activités de radiodiffusion, dont 1 % est dédié au FAPL. Le Conseil s’attendait à ce que les EDR absorbent à même leurs revenus cette hausse de 1 % en raison des rendements dans le secteur des EDR et des avantages dont elles bénéficiaient à la suite d’autres changements apportés à leur cadre de réglementation. Cependant, tel qu’il appert au dossier public de cette instance, plusieurs EDR ont décidé de facturer en sus leurs abonnés du montant équivalent.

De plus, en raison de la crise économique mondiale, le Conseil a annoncé dans la politique réglementaire de radiodiffusion 2009-406, qu’il serait légitime d’augmenter les contributions des EDR autorisées au FAPL de 1 % à 1,5 % des revenus bruts à compter de l’année de radiodiffusion 2009-2010 tout en cessant d’exiger que ces sommes constituent des dépenses additionnelles pour les stations locales. Le Conseil a aussi exprimé son intention de revoir complètement le FAPL après trois ans d’existence, quitte à le conserver dans sa forme initiale, le modifier ou l’abandonner.

Contrairement à ce qui a continuellement été répété à tort dans cette instance, le FAPL n’a pas été créé pour atténuer la crise économique et ses répercussions sur la programmation locale dans les petits marchés. Il a été mis sur pied pour répondre aux changements structurels qui se sont présentés au cours de la dernière décennie (1998-2008). Les raisons à l’origine de la création du FAPL en 2008 demeurent encore pertinentes comme nous l’ont rappelé de nombreux intervenants. Je souligne que des quelques mille interventions reçues, seulement une trentaine s’opposaient au FAPL et tous les consommateurs présents à l’audience le supportaient. Aucune preuve n’a été fournie afin de justifier que le FAPL n’était plus nécessaire pour garantir aux consommateurs des petits marchés des émissions et des nouvelles locales de qualité équivalentes à celles des grands marchés.

La Loi sur la radiodiffusion et le maintien du FAPL

Je suis d’avis que l’abolition du FAPL aura des conséquences négatives sur l’ensemble du système de radiodiffusion et cette décision majoritaire ne permet pas d’atteindre les objectifs de politique établis dans la Loi, dont notamment les suivants : l'article 3(1)i)(ii) stipule que la programmation offerte par le système canadien de radiodiffusion doit « puiser aux sources locales, régionales, nationales et internationales ». Les articles 3(1)d)(ii) et (iii) de la Loi réfèrent aux objectifs sappliquant à la programmation locale, tandis que l’article 3(1)e) prévoit que tous les éléments du système doivent contribuer, de la manière qui convient, à la création et à la présentation dune programmation canadienne.

Je suis aussi d’avis que lintérêt public exige que le système canadien de la radiodiffusion comprenne des stations locales en bonne santé qui sont capables denrichir la diversité des informations et des points de vue éditoriaux. En particulier, il en va de lintérêt public que les téléspectateurs des marchés de langue française ne soient pas lésés par la taille réduite de leur marché. Il semble également que les stations locales de tous les petits marchés nont pas les moyens dinvestir dans la programmation locale. L’abolition du FAPL pourrait potentiellement réduire la quantité et la qualité de la programmation locale de certaines stations de télévision admissibles au FAPL, voire même la fermeture de certaines de ces stations. L’abolition du FAPL ne risque-t-il donc pas, par ricochet, d’ébranler la mise en œuvre d’un autre objectif du Conseil, soit celui de la diversité des voix?

Pourquoi maintenir le FAPL?

En à peine 18 mois de réelle mise en œuvre, le FAPL a commencé à porter ses fruits comme les données financières recueillies au cours de l’audience tendent à le démontrer. On a assisté à une augmentation des dépenses en programmation locale (DPL). En 2011, les DPL sur une base agrégée des stations admissibles au FAPL ont enregistré une bonne croissance, soit une première depuis 2003. Au total, elles ont atteint 246 M$ en 2011 recouvrant presqu’entièrement le terrain perdu après 2007.

Alors que les stations admissibles au FAPL avaient rapporté en 2009 sur une base agrégée, une marge négative de bénéfice avant intérêts et impôt de -18,2 %, elle est enfin passée du côté positif soit à 2 % en 2010 puis à 5,2 % en 2011 (incluant le FAPL). La rentabilité de ces stations s’est donc améliorée.

Les revenus de vente de publicité locale des stations admissibles au FAPL, loin de s’accroître comme le laisse supposer la décision majoritaire du Conseil, sont restées à 149 M$ en 2011 bien en deçà des revenus de 2007 qui étaient de 168 M$ et derrière ceux de 2003 à 153 M$. Quant aux revenus de ventes nationales, ils ont continué de diminuer d’approximativement 87 M$ entre 2003 et 2011. Pendant ce temps, les stations des grands marchés et inadmissibles au FAPL ont connu une hausse atteignant des niveaux records dans la vente de publicité, surtout du côté des ventes nationales.

Ces données financières m’amènent donc à poser une question : comment peut-on espérer que les stations admissibles au FAPL puissent maintenir dans le futur le niveau de DPL alors que les revenus publicitaires stagnent et qu’elles seront privées du financement du FAPL? La décision du Conseil d’abolir le FAPL entraînera fort probablement une diminution plus marquée qu’avant 2008 de la programmation locale dans les stations des petits marchés. Je ne comprends pas qu’on veuille mettre fin au Fonds tout en reconnaissant qu’il a été un succès. On aurait simplement pu l’améliorer et je proposerai plus loin dans cette opinion minoritaire quelques pistes de réflexion qui auraient pu être explorées.

Les minorités linguistiques et le FAPL

Une autre de mes grandes préoccupations à la suite de l’abolition du FAPL touche les communautés de langues officielles en situation minoritaire (CLOSM) lesquelles seront encore plus perdantes, selon moi. Je note que la programmation locale constitue un outil essentiel à leur épanouissement et développement. Or, je souligne que le Conseil a, dans les limites de son mandat, l’obligation de mettre en œuvre l’engagement de favoriser l’épanouissement des CLOSM, d’appuyer leur développement et de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Le risque de diminution de programmation locale et même de fermeture de certaines stations offrant de la programmation locale dans ces communautés pourra avoir une incidence négative sur celles-ci.

Selon les données de Statistique Canada de 2006, la population totale ayant une connaissance du français dans les CLOSM et desservie par la SRC et Télé Inter-Rives est de l’ordre de 1 443 890. Je note, tel qu’il appert au dossier public, qu’à l’exception du Nouveau-Brunswick, où la programmation est produite par les stations Télé Inter-Rives, la SRC est actuellement le seul radiodiffuseur qui dessert les CLOSM de langue française. Or, je souligne également la préoccupation exprimée par la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada au sujet de la dépendance accrue de la SRC au FAPL pour ce qui est des investissements dans la programmation locale. À la suite des coupures récentes, comment la SRC pourra-t-elle en plus, combler les pertes de revenus du FAPL tout en maintenant sa production de nouvelles locales dans toutes ses stations situées dans des petits marchés et, plus important encore, dans des CLOSM?

À mon avis, la déclaration35 de la SRC à l’effet que si le Conseil abolissait le FAPL, elle continuerait à respecter, « en fonction de ses moyens », ses objectifs imposés en vertu de la Loi, n’offre pas une garantie suffisante permettant de protéger l’offre de la programmation aux CLOSM. Par conséquent, j’aurais clairement maintenu le FAPL, le considérant comme un outil essentiel pour l’épanouissement et le développement des CLOSM. D’ailleurs, le Commissaire aux langues officielles s’est positionné en faveur du FAPL en affirmant qu’il contribue au développement des communautés francophones hors Québec. Il s’opposait à toute modification qui entraînerait l’élimination de l’accès des stations régionales de la SRC au FAPL car elles sont souvent les seules à offrir le service à ces communautés.

Préoccupations pour les consommateurs

Tel qu’il appert de la preuve déposée lors de cette instance, certaines EDR ont chargé directement aux consommateurs la contribution au FAPL au lieu de l’absorber à même leurs revenus. J’espère vivement que la directive du Conseil dans la décision majoritaire36 à l’effet que toutes les EDR doivent lui faire rapport au sujet des mesures prises ou prévues pour réduire les factures de leurs abonnés, leur envoie un message clair quant à la nécessité et à l’importance de procéder. J’exprime cependant des doutes, bien que je souhaite me tromper, car ce ne serait que le juste retour des choses.

Puisque les Canadiennes et les Canadiens perdront un grand pan de leur programmation locale, qu’il n’y a pas de garantie réelle que leur facture diminuera, et que le niveau de profitabilité des EDR continue à grimper37, est-ce que les consommateurs canadiens et le système de radiodiffusion en sortiront réellement gagnants?

Incidence sur l’économie locale

Finalement, je souligne que le FAPL a été un stimulant pour l’économie locale dans les marchés concernés. Les témoignages ont été nombreux à l’effet que des emplois ont été créés avec toutes les retombées économiques positives que cela apporte dans une région. De nombreux producteurs indépendants basés en région ont pu développer des projets ayant le grand avantage non seulement de refléter leur communauté mais aussi de stimuler l’économie locale. Des stations ont procédé à l’achat et l’installation de nouveaux équipements, l’ouverture de nouveaux bureaux, voire de nouvelles stations. Sans l’apport du FAPL, il est clair que ce stimulus économique local n’aurait pas eu la même portée, voire même, ne se serait tout simplement pas produit.

Je pense aussi aux journalistes, comédiens, chanteurs, humoristes, caméramans, monteurs et autre personnel qualifié nécessaire tant à la production de nouvelles locales que d’émissions locales qui perdront leur emploi ou verront leur revenu diminuer. Puisqu’il est de plus en plus difficile de contrer le mouvement de la population vers les grands centres urbains, de telles coupures auront un effet négatif sur l’économie locale.

Améliorer le Fonds au lieu de l’abolir

Dans le cadre de cette instance, le Conseil disposait d’une grande marge de manœuvre pour changer les conditions d’admissibilité au FAPL. Puisque je prône l’approche qu’il y a toujours place à l’amélioration, j’énonce ci-après quelques pistes de réflexion qui auraient, entre autres, méritées d’être étudiées dans l’unique but de bonifier le FAPL :

En réduisant la contribution des EDR de 1,5 % à 1 %, il aurait été possible de revoir le modèle de distribution du FAPL. Plusieurs groupes ont fait des suggestions afin d’en changer le mode de répartition. Une réflexion en ce sens nous aurait permis de mieux circonscrire le FAPL.

1. Appuyant l’argument de Bell selon lequel l’admissibilité au FAPL des entreprises intégrées verticalement devrait dépendre des caractéristiques d’une communauté et non pas de celles du radiodiffuseur qui la dessert, je pense qu’il aurait été approprié de revoir certaines règles favorisant une plus grande équité. Aurait-il été de bon aloi de fixer un plafond indexé à l’indice du coût de la vie pour certains marchés ou certains groupes de propriété? Aurait-il fallu exempter d’autres EDR?

2. En appui aux arguments du Commissaire aux langues officielles et des nombreux intervenants dans le cadre de cette instance, n’aurait-il pas fallu accepter de rendre admissibles certaines stations de télévision traditionnelle de langue anglaise du Québec en redéfinissant la notion de marché métropolitain? Cela aurait pu permettre aux CLOSM anglaises au Québec de bénéficier d’une programmation locale reflétant leur communauté. En effet, bien que les CLOSM anglaises aient facilement accès à la programmation de langue anglaise, celle-ci ne reflète pas nécessairement leur propre communauté.

3. Afin d’atteindre les objectifs de base du FAPL avec des moyens financiers réduits, aurait-il été souhaitable d’éliminer l’admissibilité de certains types de production? Aurait-il été approprié d’inclure une obligation de diffusion des productions locales sur le Web ou de favoriser la création d’applications Internet pour encourager le virage vers les nouvelles plateformes?

4. Aurait-il fallu accepter d’inclure d’autres types de radiodiffuseurs qui, tout en ne produisant pas de la nouvelle locale tel que défini par le CRTC, contribuent d’une autre façon à donner un reflet des communautés locales?

5. Finalement, en plus d’éliminer certains critères de succès38, n’aurait-il pas fallu en ajouter d’autres dont celui retenu par la majorité du Conseil de rendre publiques annuellement les sommes octroyées aux stations financées par le FAPL? La transparence est clairement ressortie dans cette instance comme un critère incontournable.

Conclusion

Puisque cette audience a permis de faire ressortir que pour l’ensemble de l’industrie, le modèle d’affaires de la télévision traditionnelle est encore précaire et qu’il le demeurera à court et moyen terme, j’aurais préconisé le maintien du FAPL avec une réduction des contributions de 1,5 % à 1 % à compter du 1er janvier 2013.

J’aurais également effectué des changements significatifs afin, entre autres, de mieux cibler les bénéficiaires, de nous assurer que les fonds soient dirigés vers la programmation locale et que plus de transparence soit exigée des stations bénéficiaires. Ces améliorations auraient permis à l’ensemble des Canadiennes et Canadiens, peu importe l’endroit où ils vivent et les stations qui les desservent, et plus particulièrement pour les CLOSM, de recevoir une programmation locale adéquate. Cette approche aurait pu être revue après trois ans.

Finalement, je souhaite fortement que les consommateurs soient les grands gagnants c'est-à-dire que le niveau de programmation locale n’accuse pas de baisse, ni de qualité ni de quantité, et qu’en plus ils voient une diminution réelle de leur facture d’abonnement à leur EDR, mais je me permets d’en douter.

Je demeure préoccupée car la preuve déposée dans le cadre de cette instance n’a pas de liens directs avec la décision de la majorité d’abolir le FAPL.

Opinion concordante du conseiller Michel Morin

Introduction

Depuis que le Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL ou le fonds) a été créé il y a trois ans, plus de 11,3 millions d’abonnés canadiens au câble ou au satellite ont versé soit directement, soit indirectement plus de 300 millions de dollars à 80 stations locales de télévision du pays. Même si la nature de ce fonds constituait et constitue toujours une première mondiale pour des entreprises privées de radiodiffusion, aucune entreprise de presse nationale, tous médias confondus, n’a, à ma connaissance, cru opportun d’en faire le bilan. Faut-il croire que toutes ces contributions de plus de 300 millions de dollars des consommateurs canadiens et de leurs distributeurs sont passées sous le radar sans que les effets bénéfiques pour le contenu réel en ondes n’aient été évidents pour personne? J’ai malheureusement lieu de le croire, et c’est d’ailleurs ce que j’avais anticipé lors de ma dissidence à l’occasion de l’annonce de la création ce fonds en 2008 par le CRTC.

Qu’on le veuille ou non, près de 36 mois après la mise sur pied de ce régime, et faute d’avoir établi les critères spécifiques que j’avais mis de l’avant en 2008, personne ne peut affirmer aujourd’hui avec certitude qu’avec cette généreuse enveloppe de 300 millions de dollars, la production de nouvelles locales a globalement augmenté de façon significative dans ces 80 marchés (50 de langue anglaise et 30 de langue française) de moins d’un million de personnes répartis dans l’ensemble du pays.

Faute d’un virage qui aurait pu être salutaire, et que j’ai vainement tenté de mettre de l’avant lors des audiences du mois d’avril (c’est-à-dire une plus grande imputabilité pour produire ce à quoi ce fonds était destiné, soit principalement des nouvelles locales), je suis entièrement solidaire de la décision de la majorité du Conseil d’abolir ce FAPL. À mon avis, le minimum qu’on peut demander à un organisme de réglementation, c’est qu’il s’assure que les contributions imposées aux consommateurs et aux entreprises de distribution sont vraiment versées aux fins spécifiques auxquelles elles sont destinées, c’est-à-dire, dans le cas qui nous occupe, que ces sommes soient principalement affectées à la production de nouvelles locales dans les marchés de moins d’un million d’habitants.

Or, au cours de cette semaine d’audiences tenues en avril dernier, à peu près personne n’a semblé être disposé à exiger ou à proposer de lui-même une condition aussi essentielle et aussi fondamentale que celle d’un seuil minimal de nouvelles locales à produire dans chacun de ces marchés. Je me suis donc livré à un véritable parcours du combattant en questionnant bon nombre de radiodiffuseurs, notamment des radiodiffuseurs indépendants. Selon moi, il était important de corriger le tir et de redresser la situation, en mettant de l’avant une plus grande imputabilité quant au produit mis en ondes. Seul un seuil minimum de nouvelles « locales » ou de « segments locaux » à produire pour des évènements culturels, sportifs, scientifiques, économiques ou politiques, imposé comme condition d’admissibilité au FAPL, aurait pu justifier à mes yeux la poursuite des activités du fonds.

À mon avis, le Conseil aurait dû, dès le lancement du fonds en 2009, cibler davantage son approche compte tenu des déficiences du terme générique « programmation locale », qui peut englober à peu près n’importe quoi, comme il sera démontré plus loin. En d’autres mots, le Conseil aurait dû s’assurer dès le départ que les enveloppes du FAPL seraient principalement, voire exclusivement, consacrées à la production de nouvelles locales de catégorie 1, pour reprendre le vocabulaire du CRTC.

En 2008, le Conseil avait imposé des frais réglementaires, et il se félicite aujourd’hui de son intervention tout en se gardant d’apprécier si ce contenu a maintenant une saveur plus locale qu’il y a trois ans. Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler l’imputabilité. Du côté du Conseil comme du côté des dissidents à la présente décision, nous sommes donc globalement dans le noir. Des centaines de millions ont été dépensés (ça c’est certain!) sans qu’on puisse mesurer avec une précision relative, sur un simple historique de trois ans, la portée réelle du fonds en termes de couverture locale, notamment pour les entreprises privées de radiodiffusion. Tout s’est passé comme si, côté cour, on parlait de « programmation locale », alors que côté jardin, on était incertain du résultat quant au « contenu vraiment local » de la programmation locale.

Toutefois, afin d’apprécier le contexte qui a amené le Conseil à prendre une telle décision, je m’en voudrais de ne pas aborder avec plus de détails les circonstances qui ont contribué à la mise sur pied de ce fonds et les conditions qui auraient pu être mises de l’avant si le Conseil avait jugé nécessaire de s’inspirer de la Loi sur la radiodiffusion pour améliorer la programmation locale. Enfin, je répéterai les mêmes arguments que j’avais soulevés en 2008 quant au rôle et au mandat de la Société Radio-Canada. Selon moi, le service public mérite mieux qu’un financement ponctuel qui était à risque dès sa création.

Un Fonds lancé dans la précipitation

D’abord, il faut savoir que ce fonds, dit de programmation locale, fut créé sans le moindre avis public quant à sa création possible et, forcément, sans une réelle démonstration au dossier public des besoins locaux en programmation.

Je ne vous dirai pas les montants qui ont été discutés au Conseil, mais ils seraient très révélateurs. Au final, le Fonds fut annoncé avec une enveloppe de 60 millions de dollars (sur la base d’une contribution de 1 % des revenus bruts des entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR)) et à plus de 100 millions de dollars (ou pour l’exprimer autrement à 1,5 % de la facture moyenne de l’abonné). Tout ça en moins d’un an! Si le Conseil avait eu plus d’assurance quant aux objectifs recherchés, il n’aurait pas hésité à ouvrir un véritable dossier public, au lieu d’en précipiter la création désordonnée en fonction d’objectifs, par ailleurs tout aussi louables les uns que les autres.

Selon moi, cela montre bien que le Conseil éprouvait des difficultés à se faire une idée de l’ampleur des problèmes en jeu, autant dans les marchés de moins d’un million d’habitants que dans les régions identifiées à des communautés linguistiques en situation minoritaire, comme les collectivités de langue française à l’extérieur du Québec. L’objectif même d’augmenter la programmation locale par la mise de l’avant d’un critère de « dépenses additionnelles », critère qui avait dominé à l’annonce de la création du Fonds en 2008, fut d’ailleurs complètement abandonné quelques mois plus tard, alors le Conseil augmenta l’enveloppe réglementaire de 60 millions à 100 millions de dollars. Voici la liste des interventions du Conseil dans ce dossier depuis 2008 :

Il faut se rappeler qu’avec la multiplication des services spécialisés autorisés systématiquement par le CRTC, l’inévitable devait arriver. En 2008, cela faisait déjà trois ans que les stations locales affichaient des baisses de revenus provenant de la publicité nationale. Autrement dit, bien avant les difficultés connues en 2008 et surtout celles plus conjoncturelles rencontrées en 2009, il n’y pas de doute que le CRTC était parfaitement conscient que la télévision généraliste n’était plus, et ce depuis plusieurs années, cette poule aux œufs d’or qui avait fait recette au cours des décennies précédentes. Le problème était structurel avant d’être conjoncturel. Les services spécialisés avaient tout simplement pris la relève. Le Conseil était bien au fait de l’évolution inévitable des modèles d’affaires, mais il opta néanmoins sans préavis, la tourmente des marchés aidant, pour une intervention musclée en faveur des stations généralistes des petits marchés sous le simple prétexte que le secteur de la distribution était en meilleure santé financière que celui de la production. Voilà, en quelques mots, le premier fond de scène qui interpella le Conseil en 2008.

Toujours en 2008, un deuxième fond de scène incita le Conseil à mettre sur pied le FAPL. Cette fois, une première télévision généraliste au Canada, le réseau TQS au Québec, déclarait tout simplement forfait et se mettait sous la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Ses actionnaires avaient fait preuve d’une patience extraordinaire. Après plus de 20 ans de pertes presque ininterrompues, soit plus de 200 millions de dollars, ils décidaient enfin de céder leur place à de nouveaux actionnaires, perçus par plusieurs comme bien téméraires, qui, en faisant l’acquisition de cinq stations régionales dans le marché québécois pour moins de 10 millions de dollars, avait décidé de se passer d’un service de nouvelles conventionnel avec le personnel et les équipements que cela suppose. Pour les nouveaux actionnaires, il était devenu impossible de maintenir un budget pour un service de nouvelles semblable à ceux des autres stations du pays tout en assurant durablement la relance de l’entreprise. Lors des audiences publiques concernant la modification du contrôle effectif de TQS inc., et qui menèrent à la décision de radiodiffusion 2008-129, le premier magistrat de la ville de Québec, M. Régis Labeaume, s’était dit outré et avait indiqué brutalement au Conseil qu’en l’absence d’une vraie salle de nouvelles, il ne voulait pas de cette troisième station généraliste dans le marché de Québec. Même si le message était on ne peut plus clair, le Conseil, contrairement aux politiques poursuivies jusqu’ici, créa une exception sans précédent dans le système canadien, et selon moi c’est parallèlement à ce dossier que l’idée vint au Conseil de soutenir les diffuseurs privés dans la production de nouvelles locales.

Ainsi, avec les contributions des consommateurs et de leurs EDR, le Conseil décida d’introduire un nouveau régime de soutien à la programmation locale, dont l’essentiel de cette dernière serait constitué de nouvelles locales, et ce, même si les propriétaires des stations de TQS, devenue V Interactions, n’y trouvaient aucun intérêt compte tenu du modèle d’affaires qu’ils souhaitaient mettre en place pour relancer l’entreprise. Ce seul exemple aurait dû inciter le Conseil à faire preuve d’une extrême prudence dans la mise sur pied du FAPL.

Troisième fond de scène de cette décision du Conseil : même à l’extérieur du Québec, dans trois autres provinces canadiennes, le modèle traditionnel semblait condamné aux yeux du président du Conseil. D’ailleurs, la mise en route du FAPL, en septembre 2009, n’empêcha pas la fermeture des stations de CTVglobemedia de Wingham et Wheatly en Ontario (CKNX-TV et CHWI-TV, août 2009), de Brandon au Manitoba (CKX­V, octobre 2009) et de CanWest Red Deer en Alberta (CHCA-TV, août 2009). Dans la foulée, le spectre de la fermeture d’autres stations incita le Conseil à mettre de côté l’exigence des « dépenses additionnelles », initialement introduite en 2008, et à hausser de 1 à 1,5 % les contributions du système de distribution aux radiodiffuseurs généralistes. Quant à la condition minimale qui, selon moi, aurait consisté à s’assurer que ces subventions servent à produire au moins un seuil minimum de nouvelles locales de catégorie 1, elle ne faisait même pas partie des préoccupations du Conseil. Tout était devenu soudainement acceptable sous le parapluie de la programmation locale! Aux yeux du Conseil, l’urgence de la situation l’emportait sur toute autre considération.

Il fallait éviter la fermeture d’autres stations au Canada anglais et soutenir V Interactions au Québec, même si la contribution à la programmation locale de cette dernière avait déjà été réduite, compte tenu de sa fragilité financière, à deux heures de nouvelles de catégorie 1 par semaine, dans les grands marchés de Montréal et de Québec, et à une heure de nouvelles dans les marchés de Trois-Rivières, Sherbrooke et Saguenay.

Grâce au FAPL, on allait désormais soutenir « artificiellement » V Interactions pour l’essentiel de ses budgets de nouvelles au cours des deux exercices financiers débutant en 2009 et 2010 (2,1 + 2,6 millions de dollars). C’est d’ailleurs grâce au Fonds que V Interactions deviendra rentable tout en produisant un contenu local minimal sans précédent et « historiquement bas » dans le système canadien de radiodiffusion.

En somme, la programmation locale demeurait une affaire d’antenne; malgré les subventions souvent de plus d’un million de dollars par station, tout était laissé au bon vouloir du radiodiffuseur. On l’a bien vu lors des audiences en avril 2012 lorsqu’un des radiodiffuseurs, pour bien montrer les effets bénéfiques du FAPL, a donné comme exemple concret de l’amélioration de sa programmation locale l’escalade du mont Kilimandjaro au centre du continent africain par un citoyen et une équipe de Rivière-du-Loup dépêchée sur place. Combien de stations dans les marchés de plus d’un million d’habitants auraient pu prendre une telle décision? Avec l’argent du FAPL, tout devenait possible : c’était de la programmation locale! Faute d’une définition plus ciblée de la programmation locale, celle-ci pouvait donc être constituée de nouvelles internationales, fédérales ou provinciales produites par des têtes de réseaux, même si ces nouvelles étaient, de par leur nature, étrangères à une couverture locale digne de ce nom. Autrement dit, malgré la distribution d’une enveloppe de 100 millions de dollars par année pour soutenir la programmation locale, le Conseil évitait, aussi incroyable que cela puisse paraître, de s’assurer qu’il y ait un minimum de contenu local dans les bulletins de nouvelles.

Il est toujours très facile pour certains d’évoquer en termes généraux la Loi sur la radiodiffusion afin de justifier une intervention aussi intrusive du CRTC. La Loi peut avoir bon dos, mais nous sommes tous des conseillers non-élus. Si la loi générale donne une direction, elle demeure évidemment vague et imprécise sur la facture à refiler aux abonnés du câble et du satellite. Or, cette facture « canadienne », contrairement à celle des abonnés du système américain, est déjà non transparente pour les 11,3 millions d’abonnés, qui ne savent pas par exemple, qu’ils contribuent déjà en moyenne à la hauteur de 6,5 % de leur facture au contenu canadien (FAPL, télévision communautaire, Fonds des médias du Canada, Fonds privés des radiodiffuseurs), à quoi il faut ajouter la TPS dans les toutes les provinces, sans oublier, au Québec, la TVQ de 9,5 %! J’ai déjà émis une opinion minoritaire sur ce manque de transparence de la facture de l’abonné canadien. La création du FAPL n’a fait qu’exacerber et mettre encore plus en évidence ce problème que je qualifierais volontiers de fondamental pour tout Conseil qui voudrait mettre de l’avant l’intérêt du consommateur. Comment les consommateurs peuvent-ils se plaindre s’ils ne savent pas ce que leur coûte le système!

Globalement, ce n’est pas une mince affaire : on parle ici d’une facture de près d’un demi-milliard par année, gracieuseté du CRTC, soit l’équivalent d’environ la moitié de l’enveloppe budgétaire consacrée à la CBC/Radio-Canada. Tout ça mis en place, je le répète, par des non-élus! Et certains de mes collègues dissidents voudraient encore augmenter la facture des abonnés au profit d’un diffuseur public qui accapare déjà 40 % du FAPL en plus de bénéficier déjà d’une allocation budgétaire de 1 milliard, et ce sans même s’assurer, par la mise en place de mesures précises, que l’objectif du Conseil de 2008 d’augmenter les nouvelles locales de catégorie 1 soit vraiment atteint dans tous les marchés admissibles?

Autrement dit, la simple évocation de la Loi ne dispense pas l’organisme réglementaire de faire son travail et de fixer les paramètres de son intervention. Comment peut-on parler aujourd’hui de rigueur si, faute de données historiques sur le sujet, on ne sait pas si, par exemple, les entreprises intégrées comme Rogers, Shaw, Québecor ou Bell produisent aujourd’hui dans les petits marchés plus de « nouvelles locales », plus de « segments locaux », qu’elle n’en produisaient il y a trois ans?

Comme si cela n’était pas déjà suffisant, la mise en place du régime du FAPL se fit également dans le désordre. Certaines entreprises de distribution comme Rogers, Québecor et Bell refilèrent officiellement la facture aux consommateurs en imprimant sur la facture de l’abonné des frais réglementaires de 1,5 %. D’autres, comme la manitobaine MTS Inc. absorbèrent la facture réglementaire, comme c’était le souhait du Conseil, sans que les consommateurs n’en soient informés officiellement. Ainsi, pour la première fois dans le système canadien, les abonnés du câble et du satellite, dans des marchés similaires, n’étaient pas traités de la même façon après l’introduction d’une mesure réglementaire du CRTC.

Par ailleurs, tous les intervenants et le public en général auront été forcés d’attendre pratiquement trois ans avant de connaître le contenu des enveloppes versées, station par station, à une minorité de radiodiffuseurs, soit les montants précis pour les 26 stations de Québecor, Rogers et la CBC/SRC. Pour les 54 autres stations, on ne saura jamais comment les 58 millions de dollars, sur un total de 106 millions de dollars par année, ont été distribués station par station. Quant aux données regroupées par entreprise, on connaît les montants globaux pour Bell, la CBC/SRC, Québecor, V Interactions, Rogers et Shaw, mais le quart du Fonds (23 millions de dollars) reste toujours complètement inconnu du public, sans qu’on sache vraiment, à partir du dossier public, quelles enveloppes budgétaires Corus, Astral, Télé Inter-Rives, Pattison, Channel 0, CHEK-TV, Newcap, NL Broadcasting, TB Electronics et RNC MÉDIA ont reçues du FAPL. Dans tous les cas, il s’agit de montants supérieurs à un 1 million de dollars. Jamais dans l’histoire des aides au secteur de la radiodiffusion au pays la mise sur pied d’un fonds n’avait été aussi peu transparente. À ma demande, mes interventions au Conseil sur ce manque de transparence furent consignées aux procès-verbaux.

C’est dans cette atmosphère que j’ai émis, en 2008, ma sixième opinion minoritaire sur les politiques du Conseil. À mon avis, compte tenu de tous les éléments du dossier, l’obligation de produire des nouvelles locales de catégorie 1 aurait dû constituer une condition sine qua non pour le versement des contributions prélevées sur la facture des abonnés ou sur les revenus des distributeurs. Or, ce n’était pas le cas. Pour la première fois, le Conseil introduisait un régime d’aides à la programmation, sans s’assurer qu’il servirait avec certitude aux fins auxquelles il était d’abord destiné, c’est à dire la production d’une programmation locale constituée principalement de nouvelles locales de catégorie 1. Jamais un fonds n’avait a été mis sur pied, à ma connaissance, sans aucune nouvelle condition particulière à remplir que celles auxquelles étaient déjà liées les entreprises de programmation par condition de licence. Loin de moi l’idée de reprocher quoi que ce soit à l’industrie. C’est nous qui fixons les règles. Depuis 2009, les radiodiffuseurs ont profité de ces enveloppes inespérées. Pourquoi s’en seraient-ils plaints? On leur attribuait sans conditions (donc, sur un plateau d’argent) 100 millions de dollars par année! Deux conseillers, M. Peter Menzies de l’Alberta et moi-même, avions alors produit une opinion minoritaire.

Seul un seuil minimal de nouvelles locales à produire aurait pu justifier la poursuite de ce régime de subventions aux télévisions locales.

Un peu plus d’un mois avant les audiences d’avril 2012, le personnel du CRTC, à la demande du Conseil, a fait parvenir un questionnaire à l’ensemble des 80 stations admissibles au FAPL de même qu’à six stations non admissibles dans les marchés de plus d’un million d’habitants. Pour la première fois depuis 44 ans dans l’histoire du CRTC, on demandait aux radiodiffuseurs si, dans leur programmation locale, il y avait toujours des nouvelles locales! Jusqu’à tout récemment, le Conseil avait toujours tenu pour acquis que la programmation locale était composée principalement de nouvelles locales. Or, rien ne peut parfois être aussi loin de la vérité.

Voici le tableau qui fut envoyé à chacune des 80 stations locales de télévision.

Les nouvelles locales de Catégorie 1, appelées « segment local », sont surlignées dans le tableau. Par exemple, pour le marché de la région de Montréal, un segment sur la construction d’un centre de la STM (Société des Transports de Montréal), ou un autre sur le Cosmodôme de Laval, sont clairement des « segments locaux », par opposition à des segments sur le procès Shafia à Kingston, ou sur une prise de position du NPD à Ottawa sur le registre des armes à feu.

On comptait au total pour ce bulletin de nouvelles, 5 minutes et 42 secondes de « segments locaux », donc de « nouvelles locales », sur une durée totale de 23 minutes et 55 secondes.

Nouvelles de 18h (rediffusion)        29 novembre 2011

Section Début du segment Titre de l’histoire ou du segment Provenance du segment Durée du segment
  00:00 Introduction   01:20
Grands titres 01:20 Procès Shafia National 00:36
  01:56 Accident Montréal 00:18
  02:14 Rapport du vérificateur - garderies Provincial 00:18
  02:32 CAQ Provincial 00:44
Scène fédérale 03:16 Politique fédérale - Durban & Kyoto National 02:03
  05:19 NPD registre armes National 00:53
Vox Pop 06:12 Question Facebook National 01:26
Arts & spectacles 07:38 Rock & Belles oreilles National 01:55
Sports 09:33 Canadien - Pacioretty National 00:15
  09:48 Hockey - Muller International 00:12
  10:00 Hockey - Boudreau International 00:15
  10:15 Hockey - Crosby International 00:14
Météo 10:29 Météo National 01:07
Varia 11:36 Nouvelle cocasse International 00:26
Publicité 12:02     02:58
Varia 15:00 Chiffre du jour   00:28
Nouvelles locales 15:28 Bagarre Montréal 00:20
  15:48 Construction centre STM Montréal 00:16
  16:04 Illumination mairie Montréal 00:16
  16:20 Cosmodôme Laval Montréal 00:21
En région 16:41 Investissement hôpital Provincial 00:46
  17:27 Fonds dette Provincial 00:25
  17:52 Nancy Landry Provincial 00:18
Reportage 18:10 Griffintown Montréal 02:18
International 20:28 Sommet Durban International 00:34
  21:02 Egypte International 00:26
  21:28 Syrie International 00:24
Reportage 21:52 Bateau-requin National 01:00
Varia 22:52 Chiffre du jour National 00:37
Arts & spectacles 23:29 Place Gilles-Carle Montréal 01:06
  24:35 Contes urbains Montréal 00:47
Météo 25:22 Météo National 01:11
  26:33 Nous joindre   00:20
Publicité 26:53     03:07
  30:00      
    Total du bulletin   23:55
    Total du contenu local   05:42

Je dois faire remarquer que certains radiodiffuseurs, dont je tais ici les noms, avaient des définitions très extensibles du contenu local, ou des « segments locaux », pour utiliser cette nouvelle expression. Par exemple, dans sa réponse au questionnaire, une station généraliste prétendait avoir diffusé 12 heures 33 minutes et 2 secondes de « segments locaux » par semaine. Vérification faite par le personnel du CRTC, c’était 34 % moins, soit 8 heures 16 minutes et 14 secondes. Un autre radiodiffuseur, possiblement gêné par le peu de « segments locaux » par semaines (2 heures 6 minutes et 32 secondes), avait dans les faits multiplié par deux sa performance (1 heure 6 minutes et 20 secondes)!

Tout ça pour dire que sous le parapluie de la programmation locale, dont le nombre d’heures est aujourd’hui harmonisé à 7 heures par semaine dans les marchés de langue anglaise et à 5 heures dans les marchés de langue française, le contenu réellement local peut varier facilement du simple au quintuple. Comme je viens de le démontrer, tous les consommateurs ne jouissent pas, c’est le moins qu’on puisse dire, d’un seuil minimal de nouvelles locales.

Lors de l’audience en décembre dernier (qui a mené à la décision de radiodiffusion 2012-243) où le Conseil a réexaminé les conditions de licence de V Interactions relatives à la diffusion de la programmation locale, notamment les nouvelles, j’avais demandé aux représentants de V Interactions de Montréal de produire pour le Conseil des rubans-témoins, pour la dernière semaine de radiodiffusion de novembre, de leurs bulletins de nouvelles dans les différentes régions du Québec. Il faut savoir qu’avec ses cinq stations au Québec, V Interactions constitue déjà, comme je l’ai écrit plus haut, une exception sans précédent dans le système canadien de radiodiffusion, n’étant astreinte à produire, depuis la décision de 2008, que deux heures de nouvelles par semaine dans le marché de Montréal et de Québec, et seulement une heure par semaine dans les marchés de Saguenay, Sherbrooke et Trois-Rivières.

Or, malgré ces conditions en apparence contraignantes pour V Interactions, l’analyse révéla que les nouvelles « locales » de catégorie 1 y étaient largement absentes; la condition ne portait que sur des nouvelles de catégorie 1, sans égard à leur provenance. Par exemple, pour la première journée de la semaine qui avait été retenue, soit le lundi 28 novembre 2011, dans le marché de la région de la ville de Québec, les téléspectateurs recevaient seulement une minute et 48 secondes de nouvelles locales de catégorie 1 (sports, économie, environnement, culturel, politique, etc.)! Tout un menu, en dépit des conditions extrêmement sévères du Conseil! Autrement dit, moins de deux minutes de segments réellement locaux sur une émission de plus de 25 minutes. Malheureusement, il ne s’agissait pas d’une exception. À quelques minutes près, on pouvait faire le même constat tous les jours de la semaine dans les cinq marchés. L’analyse révéla, par exemple, que le vendredi 2 décembre et le samedi 3 décembre, il n’y avait même pas 10 secondes de nouvelles locales dans les marchés de Saguenay et Sherbrooke, et le dimanche 4 décembre, pas une seule seconde de nouvelles locales dans le marché de la ville de Québec, la deuxième en importance au Québec. Plus spécifiquement, pour la région de Québec, c’est à peine si on avait produit 15 minutes de « segments locaux » pour l’ensemble des sept jours de la semaine.

Et c’est cette même entreprise qui reçut plus de 4,5 millions de dollars au cours des deux dernières années d’application du FAPL!

Voici le tableau de V Interactions dans le marché de la ville de Québec, auquel je viens de faire allusion et qui identifie clairement le 1 minute et 48 secondes de « segments locaux » (en surligné dans le tableau) de nouvelles vraiment locales.

Québec           28 novembre 2011
Section Début Manchette Provenance Durée
  00:00 Introduction   01:08
Grands titres 1:08 Jeune fille immolée Saguenay 00:36
  01:44 Séquestration d’une personne âgée Montréal 00:31
  02:15 Rapport sur les CPE National 00:25
  02:40 Divorce National 00:31
Scène fédérale 03:11 NPD National 01:44
  04:55 Criminalité National 00:53
Vox Pop 05:48 Question Facebook - Vox Pop   01:40
Arts & spectacles 07:28 Revue et corrigée Montréal 01:06
  08:34 Blues d’la métropole Montréal 01:04
Sports 09:38 Canadiens Montréal 00:19
  09:57 Football NFL International 00:12
  10:09 Formule 1 International 00:11
  10:20 Tennis International 00:11
Météo 10:31 Météo National 01:08
Varia 11:39 Black Friday International 00:23
Publicité 12:02 Publicité   03:00
Varia 15:02 Intro Québec   00:28
Nouvelles locales 15:30 Rouge et Or Québec 00:14
  15:44 Congrès des journalistes Québec 00:25
  16:09 Milieux humides Québec 00:28
  16:37 Centre de hockey Québec 00:13
En région 16:50 Compétition de patinage Saguenay 00:41
  17:31 Hydro-Sherbrooke Sherbrooke 00:37
Reportage 18:08 Poêles à bois National 02:40
International 20:48 Syrie International 00:38
  21:26 Égypte - violences International 00:46
  22:12 Allemagne - déchets nucléaires International 00:54
  23:06 Lybie - Découverte archéologique International 01:09
  24:15 Chiffre du jour - sapin   01:02
  25:17 Météo National 01:11
  26:28 Nous joindre   00:23
  26:51 Publicité   03:09
  30:00      
    Total du bulletin   23:51
    Total de contenu local - Québec   01:48

Comble du ridicule, il y aurait pu n’y avoir aucune nouvelle locale couvrant spécifiquement ces marchés, et selon ma lecture de ses conditions de licence, le radiodiffuseur aurait toujours été en pleine conformité avec ses conditions de licence portant sur des nouvelles « générales » de catégorie 1, mais sans contenu « vraiment » local. Le maire de la deuxième ville en importance au Québec avait bien raison de se méfier.

Conscient de l’exception qu’il avait accordée en 2008 et qui avait produit les résultats que l’on connaît maintenant, le Conseil, dans sa décision du printemps 2012 (décision de radiodiffusion 2012-243), nota les engagements proposés par V Interactions pour 2012 à 2014, à l’égard d’une quantité minimum de nouvelles « locales », ou « segments locaux », de catégorie 1. C’est précisément l’objectif que je recherchais dans le cours de l’audience du mois d’avril dernier portant sur le FAPL. Plus spécifiquement, le tableau publié dans la décision de radiodiffusion 2012-243 faisait allusion à une « durée minimum des segments locaux » pour V Interactions. On aura compris qu’il s’agissait de nouvelles de catégorie 1, portant sur des sujets locaux en économie, en politique ou en matière culturelle ou sportive. Il n’était plus question de contourner la production de nouvelles locales par la production par la tête du réseau de nouvelles internationales, fédérales ou provinciales. Autrement dit, le Conseil reconnaissait pour la première fois qu’il fallait ajouter à la définition de la programmation locale non seulement les nouvelles de Catégorie 1, mais aussi le concept de nouvelles « locales de Catégorie 1 » ou de « segments locaux », si on voulait vraiment être certain qu’un produit local serait mis en ondes.

Au moins, avec la nouvelle décision, V Interactions s’est engagé à mettre en ondes une heure de nouvelles locales de catégorie 1 dans les marchés de Québec et Montréal, et 36 minutes par semaine dans les trois autres marchés régionaux de Trois-Rivières, Sherbrooke et Saguenay (voir le tableau ci-dessous). Même dans la région de Montréal, le contenu local pour cette semaine du 28 novembre au 4 décembre 2011 n’excédait pas six minutes de nouvelles « vraiment locales » sur une émission de moins de 26 minutes, qualifiée de programmation locale pour la région de Montréal. En fait, cette programmation locale et ces nouvelles de catégorie 1 étaient constituées de nouvelles internationales, fédérales et provinciales et de nouvelles locales d’autres marchés, qui n’étaient apparentées d’aucune façon à des couvertures locales dans les marchés spécifiques de Montréal, Québec, Trois-Rivières, Saguenay et Sherbrooke.

Incidence des engagements

Station 2008-2011 2012-2014
(engagement proposé)
  Quantité de bulletins de nouvelles requis par condition de licence (par semaine de radiodiffusion) Quantité de segments de nouvelles locales diffusés du 28 novembre au 4 décembre 2011 Quantité de bulletins de nouvelles devant être requis par condition de licence (par semaine de radiodiffusion) Durée projetée des segments de nouvelles locales (par semaine de radiodiffusion)
CFJP-DT Montréal 2h 0h34 2h30 1h00
CFAP-DT Québec 2h 0h15 2h30 1h00
CFRS-DT Saguenay 1h 0h16 1h30 0h36
CFKS-DT Sherbrooke 1h 0h17 1h30 0h36
CFKM-DT Trois-Rivières 1h 0h16 1h30 0h36

C’est à la suite de cette décision que le Conseil trouva opportun de poser la même question aux radiodiffuseurs qui profitent depuis 2009 des subventions du FAPL. Le Conseil désirait savoir si on parlait de nouvelles locales ou bien de nouvelles internationales, fédérales ou provinciales. Dans mon esprit, il s’agissait d’abord de faire le constat, quitte à établir possiblement par la suite un seuil minimum de « nouvelles locales de catégorie 1 », de « segments locaux », dans des domaines aussi divers que la culture, l’environnement, l’économie ou la politique, à partir duquel un diffuseur local pourrait profiter des largesses du FAPL. Selon moi, il s’agissait du vrai plan de match qui n’a pas trouvé preneur. Le Conseil ne peut parler des deux côtés de la bouche en même temps, c’est-à-dire prétendre qu’on veut améliorer la programmation locale, sans imposer en même temps des conditions pour s’assurer que le contenu est vraiment local.

C’est pourtant ce qu’avait fait le Conseil en 2008, décision contre laquelle j’avais inscrit ma dissidence.

En 2008, j’avais alors écrit : « Ayant reconnu un déficit dans la production de nouvelles dans les petits marchés (moins d’un million d’habitants), le CRTC aurait dû ne retenir qu’un seul objectif : la production de nouvelles dans les petits marchés de manière à combler le déficit qui s’est creusé au cours de la dernière décennie. » Et j’ajoutais : « Les émissions d’analyses, de commentaires ou d’opinions qui sont produites au niveau local et qui seront admissibles aux subventions du FAPL sont rarement « exportables » dans les grands marchés de Toronto, Montréal, Vancouver, Calgary, Edmonton ou dans le marché anglophone d’Ottawa-Gatineau. Seules les nouvelles régionales pures peuvent être diffusées sur les réseaux nationaux et ainsi améliorer la couverture du pays pour l’ensemble des Canadiens. »

Mon opinion n’a pas changé. Je crois toujours aujourd’hui que l’atteinte de cet objectif devrait être la priorité du moment et que cela n’est possible que par l’établissement bien compris d’un seuil minimum de nouvelles locales pour chacune des stations subventionnées par le FAPL. En cela, je pourrais reprendre à mon compte une partie du témoignage de M. Peter Murdoch, vice-président de Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), lorsque celui-ci déclara :

[traduction] « […] les conditions que vous avez imposées ne requièrent pas d’heures précises de nouvelles locales originales – tel que SCEP l’a demandé à maintes reprises – mais seulement de la programmation locale/en général […] vous avez de bonne raisons d’être préoccupés par la question de savoir si le FAPL paie pour des nouvelles locales originales ou s’il gonfle les profits des bénéficiaires […]. C’est pour cette raison que nous avons recommandé un FAPL imputable et progressif […]. »

Les 11,3 millions d’abonnés au système canadien radiodiffusion ne sont-ils pas d’accord avec M. Murdoch?

En tout cas, je suis du même avis que ce syndicat : on ne doit pas faire n’importe quoi avec l’argent des abonnés. La programmation locale, comme je l’ai démontré, même avec des nouvelles de catégorie 1, doit être définie plus rigoureusement et ne pas devenir un fourre-tout pour tous les prétextes de couverture « extérieure ». Sans quoi, soyons francs : ne parlons pas de programmation locale, mais de programmation tout court.

C’est ce que ne semble pas avoir compris le Syndicat des employés de Radio-Canada, dont je fus membre pendant plus de 20 ans, quand son président M. Alex Levasseur déclara au cours de la dernière journée d’audiences qu’il était contre l’imposition de tels quotas de nouvelles locales. Autrement dit, bienvenue aux nouvelles internationales, fédérales et provinciales sans égard à la mission même du FAPL, qui devait être de produire des nouvelles locales. Décidément, même les syndicats ne sont pas sur la même longueur d’ondes; certains voudraient plus de rigueur, d’autres voudraient que le bar reste ouvert sans conditions.

À mon avis, comme les ressources du FAPL ont toujours été limitées, le Conseil doit accorder une priorité absolue à la production de nouvelles locales, non seulement parce qu’elles sont plus facilement mesurables que les émissions d’affaires publiques ou culturelles, mais aussi parce que les nouvelles locales de catégorie 1 sont, plus que tout autre type de programmation, au cœur de la couverture, pour le plus grand nombre, des actualités politiques, culturelles, économiques ou autres, dans les petits marchés plus vulnérables financièrement.

Les résultats de l’enquête, mentionnée ci-dessus et initiée par le personnel du CRTC auprès des radiodiffuseurs, s’avérèrent extrêmement intéressants. Pour la première fois, nous savions de quoi nous parlions! Quand nous parlions de programmation locale, nous savions quelle portion de cette programmation locale était réellement constituée de nouvelles locales dignes de ce nom!

Le bilan colligé avec beaucoup de professionnalisme par le personnel du CRTC s’avéra extrêmement contrasté. J’en fus personnellement surpris. Voici le tableau que je déposai dès le début des audiences, le lundi 16 avril 2012.

 Le tableau suivant présente un résumé des renseignements sur les nouvelles locales qui ont été déposés au Conseil par les titulaires des stations de télévision, en réponse à une demande du Conseil dans sa lettre du 17 février 2012. Les données ci-dessous représentent une moyenne par station des nouvelles locales diffusées par les stations faisant partie des groupes indiqués ci-dessous pendant les divers bulletins diffusés au cours de la semaine du dimanche 12 février au samedi 18 février 2012.

Moyenne de nouvelles locales par station par semaine (H:Min:Sec)
  non-FAPL FAPL Seuil minimum proposé pour les stations récipiendaires du FAPL
CBC 5:41:08 6:17:51  
SRC 2:08:53 3:16:08  
IV anglais (Bell, Rogers, Shaw) 11:49:43 5:32:23  
IV français (QMI) 3:10:44 2:17:59  
Indépendants anglais
(Astral, Channel 0, CHEK, Corus, Newcap, NTV, Pattison, Thunder Bay)
s/o 10:59:50  
Indépendants français (RNC, TIR, V) s/o 1:33:36  
Moyenne 5:42:37 4:59:38  

Cette fois, on ne pouvait plus se tromper. D’abord, quand il s’agit de nouvelles locales, les marchés de langue anglaise et de langue française affichent des rendements très différents, et on constate un énorme déficit du côté français. Voilà la « vraie » comptabilité qui porte sur le produit mis en ondes.

D’ailleurs, la Federal Communications Commission avait elle-même tenté, en juillet 2011, de faire l’état des nouvelles locales aux États-Unis dans un document comportant plus de 500 pages. Elle devait conclure qu’au cours des sept dernières années, les nouvelles locales ont augmenté de 35 %, une tendance qui semble ici bien différente de celle de nos voisins… Et eux, comme moi, parlent d’abord de nouvelles « locales » mises en ondes.

Quoiqu’il en soit, le Conseil avait choisi d’accorder une enveloppe annuelle de base de 400 000 dollars pour chaque antenne, nonobstant l’importance des cotes d’écoute, son contenu en nouvelles locales ou le fait qu’elle soit de langue française ou de langue anglaise. Au final, les stations de langue française ont reçu 30 % de l’enveloppe restante malgré qu’elles représentent moins de 25 % de la population canadienne et, surtout, qu’elles diffusent moins de nouvelles locales!

Par exemple, malgré toutes ces conditions favorables, Québecor, en tant qu’entreprise privée intégrée au même titre que Bell, Rogers ou Shaw, a produit pour la semaine retenue un peu plus de deux heures de nouvelles « locales » par semaine dans les marchés de moins d’un million d’habitants, comparativement à plus de cinq heures de nouvelles locales par les trois autres entreprises privées intégrées dans les marchés de langue anglaise de moins d’un million d’habitants. Pourquoi un écart aussi prononcé, de trois heures par semaine, entre Québecor et ses vis-à-vis (Rogers, Shaw et Bell) du côté du Canada anglais? Chez les radiodiffuseurs indépendants, l’écart est encore plus prononcé avec presque 11 heures de nouvelles locales par semaine en moyenne du côté anglais et à peine un peu plus d’une heure et demie du côté français.. Et certains auraient voulu continuer d’être subventionnés au même niveau et avec les mêmes formules pour des résultats aussi contrastés et si peu convaincants, notamment du côté français?

Enfin, on observe également des écarts très prononcés entre les services mêmes de la CBC et la SRC, selon qu’ils s’adressent aux francophones ou aux anglophones. Ainsi, les stations de langue française de service public produisent en moyenne un peu plus de trois heures de nouvelles locales par semaine contre six heures en moyenne chez les stations de langue anglaise de la CBC, toujours dans les marchés de moins d’un million d’habitants. Pourquoi un tel écart?

Qu’on ne me serve pas l’argument que la SRC est le parent pauvre des enveloppes budgétaires des deux réseaux confondus. C’est le contraire. Doit-on rappeler ici que, globalement, les services de langue française de la SRC reçoivent environ 38 %, soit 654 millions de dollars, de l’enveloppe globale de 1,7 milliard du diffuseur public financé par tous les contribuables canadiens? Comment expliquer de tels écarts entre les réseaux, sinon par des décisions prises par la Société elle-même?

Pourquoi les stations de langue française de ce pays, malgré ce traitement du FAPL qui ne tient pas compte de l’importance des auditoires attachés à chaque station, ne devraient-elles pas être astreintes aux mêmes résultats que les stations de langue anglaise, beaucoup plus généreuses en matière de nouvelles locales de catégorie 1? Le diffuseur public, selon sa loi constituante, ne doit-il pas d’abord « renseigner » et ensuite « divertir »?

Deuxième contraste : le rendement des radiodiffuseurs privés des entreprises verticalement intégrées et celui des radiodiffuseurs indépendants, dans les marchés de langue anglaise et de langue française.

Dans les marchés de langue anglaise, ce sont les stations indépendantes qui battent tous les records. Ce sont les véritables champions de l’information locale. Rien à voir avec les entreprises intégrées verticalement ou avec les stations de la CBC/SRC. Par exemple, dans leurs marchés respectifs, Astral (Dawson Creek et Terrace), Corus (Kingston, Peterborough et Oshawa), Pattison (Medicine Hat, Kamloops et Prince George), CHCH (Hamilton), CHEK (Victoria) et Newcap (Lloydminster), pour ne citer que ceux-là, consacrent deux fois plus d’heures par semaine aux nouvelles locales que les stations appartenant aux grandes entreprises intégrées.

Si le CRTC avait décidé de maintenir le FAPL et d’imposer des quotas minimums, ces producteurs indépendants de langue anglaise auraient passé le test haut la main et auraient pu se qualifier pour des sommes encore plus importantes sur la base du mérite, puisqu’ils ont déjà une longueur d’avance sur tous les autres radiodiffuseurs privés ou publics. Enfin, pour ce qui est des grandes entreprises intégrées, même si elles bénéficient déjà de synergies inévitables, elles se font également coiffer dans les petits marchés par les stations du service public, qui produisent en moyenne une heure de plus de nouvelles locales par semaine. En toute équité, notons cependant que dans les grands marchés de langue anglaise de plus d’un million d’habitants, l’inverse est vrai : en moyenne, dans les grands marchés urbains, Bell, Rogers et Shaw accordent deux fois plus d’importance aux nouvelles locales (11 heures) que les stations de la CBC (5 heures).

Quel contraste avec les producteurs indépendants du Québec, qui produisent à peine plus d’une heure de nouvelles locales, de « segments locaux », par semaine, soit grosso modo 8 fois moins que les stations indépendantes du côté anglais! En imposant des seuils minimums pour des nouvelles locales de catégorie 1, le Conseil aurait pu contribuer à corriger progressivement cette situation propre au marché de langue française, toutes catégories confondues : radiodiffuseurs indépendants, radiodiffuseur intégré (Groupe TVA) et radiodiffuseur public (CBC/SRC).

Comme me le faisait remarquer lors des audiences M. Yves Mayrand, Vice-président, Affaires corporatives, Cogeco, suite à l’une de mes questions : « …il est très difficile pour nous… En tout cas, nous on n’a pas été capable, sur la base des pièces disponibles sur le dossier public, d’établir qu’il y a effectivement une corrélation claire, limpide et complète entre l’attribution de fonds venant du FAPL et, comme vous le dites, l’accroissement de l’offre, notamment en nouvelles locales. »

Cette absence de données a été évoquée par plusieurs, dont la vice-présidente de l’Alliance des producteurs francophones du Canada, Mme Suzette Lagacé : « Il est difficile d’analyser avec précision l’utilisation des ressources offertes par le FAPL aux stations régionales. Nous profitons de notre intervention pour réitérer notre demande de publication de données financières présentée par groupe et par catégorie d’émission de la part de l’administrateur du FAPL. De plus, nous réaffirmons la nécessité d’un rapport public détaillant l’utilisation des sommes reçues, ainsi que le nom des émissions de programmation locale comptabilisées aux fins de l’atteinte d’un seuil minimal hebdomadaire de programmation locale des stations régionales bénéficiant du FAPL. »

Mon adhésion à la poursuite des activités du FAPL n’aurait pu se faire que dans ces conditions. Selon moi, le fait d’imposer aux consommateurs une autre facture de plus de 300 millions sans s’assurer qu’un seuil minimal de nouvelles de catégorie 1 est produit et diffusé dans chacun de ces marchés n’avait aucun sens. Dans mon esprit, c’était la seule et unique condition, combien déterminante et facilement mesurable et imputable. Chaque abonné du système canadien aurait pu le vérifier dans son milieu, chronomètre à la main! Voilà un exemple d’une transparence qui aurait pu inspirer notre décision. N’importe quel citoyen ordinaire aurait pu facilement vérifier au cours d’une semaine s’il avait « son contenu local » en ondes (le seuil minimum de nouvelles locales qui aurait été arrêté par le Conseil) et porter plainte au Conseil en cas de non-conformité.

Voilà d’ailleurs à mon sens une des voies de l’avenir pour le CRTC. Afin de rendre le système de radiodiffusion plus transparent, le Conseil aurait avantage à mettre de l’avant des mesures plus simples, plus faciles d’accès pour M. Tout-le-monde (comme des seuils mesurables), plus faciles à appliquer et centrées sur l’objectif à atteindre. Voilà une façon de réduire la réglementation tout en étant plus transparent et prévisible et en appliquant des mesures que tous les abonnés, quand cela est possible, peuvent facilement et rapidement apprécier. Après tout, c’est eux qui, directement ou indirectement, acquittent la facture. Pourquoi ne pas leur donner des instruments simples qu’ils peuvent utiliser afin de réaliser eux-mêmes les premières vérifications quant à la conformité des entreprises aux règlements en vigueur, plutôt que de laisser à des initiés le soin de le faire? Cela ne contribuerait-il pas à l’intégrité du système?

Par exemple, à partir d’une brochette de règlements difficiles à appliquer et couchés sur plusieurs pages, nous l’avons fait dans le marché de la radio de langue française avec les montages musicaux de langue anglaise (désormais pas plus de 10 % de la programmation). Nous aurions pu le faire avec les « segments locaux » dans les bulletins de nouvelles associés à la programmation locale. Puisque cela aurait porté sur une période plus courte, c’eût été encore plus facile pour les abonnés au système canadien de radiodiffusion!

Enfin, je ne crois pas que le critère des dépenses additionnelles, tel qu’il avait d’abord été retenu par le Conseil dans sa première phase de mise en application du FAPL, aurait constitué le bon critère. Voilà un vrai fardeau réglementaire pour les intervenants et le personnel du Conseil si on veut en vérifier l’intégrité. Innover, ce n’est pas nécessairement dépenser davantage, et ce qui compte au final, dans mon esprit, ce sont les nouvelles et, surtout, leur contenu local. Il ne s’agit pas de faire de la microgestion, comme certains intervenants l’ont prétendu, mais plutôt de s’assurer que les contributions de 300 millions de dollars des consommateurs sont utilisées pour parvenir à une fin (la couverture locale) et un objectif (un seuil minimal de nouvelles locales de catégorie 1). Quant au calcul des « segments locaux » de chaque bulletin, une fois mise en place cette pratique, n’importe quelle assistante à la production aurait pu le faire en moins d’une minute à la fin de la diffusion du bulletin local. Il n’y a rien de sorcier et de bien compliqué dans le fait de s’assurer que le consommateur y trouvera son compte à la fin de chaque semaine de diffusion.

Voilà ce dont j’aurais aimé discuter et voilà le sujet que peu de participants ont évoqué dans leur réplique finale. Dans ces conditions, je leur dis tout simplement : à bon entendeur, salut. Vous ne voulez aucune condition quant à un minimum de nouvelles locales de catégorie 1, alors ne comptez pas sur moi pour imposer des frais réglementaires de 1,5 % sur la facture des 11,3 millions d’abonnés canadiens du câble et du satellite ou de leurs distributeurs! En tant que membre d’un organisme de réglementation, je suis à l’école de l’imputabilité et de la transparence. Pas question pour moi de vous offrir 300 millions de dollars sur un plateau d’argent pour trois autres années, sans condition de produire des nouvelles vraiment locales pour le bénéfice des consommateurs de chacun de ces marchés. Puisque, dans la majorité des cas, ce sont les consommateurs qui ont fait les frais de ces 300 millions de dollars sur trois ans, je voulais simplement m’assurer que le contenu qui leur est offert comprend réellement des nouvelles locales, au sens strict. Meilleure chance la prochaine fois, si toutefois l’occasion se présente à nouveau.

Le cas de la CBC/SRC : la production locale est au cœur de leur mission.

En 2008, j’avais écrit une opinion minoritaire pour m’opposer à la contribution « forcée » des abonnés canadiens au financement, par des frais réglementaires, de la couverture locale de la CBC/SRC. Après quatre ans, je n’ai pas changé d’avis.

Selon moi, le financement et la mission d’un service public ne doit pas être mis à risque par l’imposition de frais réglementaires circonstanciels dont la pérennité était aléatoire dès leur création.

Rappelons qu’en 2008, le Conseil avait écrit : « le Conseil décidera si le FAPL doit conserver sa forme initiale, être modifié ou abandonné ».

Rien n’était donc garanti au-delà d’une première période de trois ans. Quant aux minorités linguistiques, tout comme la couverture locale, elles font partie intégrante de la mission du service public. Il incombe à la Société de défendre et d’obtenir les budgets pour s’acquitter de sa tâche. À mon avis, ce n’est pas à l’organisme réglementaire, dont le Conseil est composé de membres non élus, de se substituer au financement public en évoquant un catalogue des bonnes causes. Pourquoi, par exemple, la CBC/SRC ne rendrait-elle pas publique une enveloppe budgétaire dédiée spécifiquement aux marchés en situation minoritaire, où les cotes d’écoute ne peuvent être commercialisées faute d’un auditoire suffisant? Cela ne pourrait-il pas ajouter à la transparence du service public et permettre du même coup d’apprécier l’incidence des décisions de politique? Voilà, à mon sens, une façon plus efficace pour le diffuseur public de se positionner face aux attentes gouvernementales et d’enclencher un meilleur dialogue entre les deux parties dans l’attribution d’enveloppes budgétaires spécifiques.

Autrement dit, il est clair dans mon esprit que si le gouvernement décide de réduire les budgets de la Société, le CRTC n’a pas à prendre la relève et à imposer des frais réglementaires aux abonnés pour compenser la perte de revenus découlant d’une décision gouvernementale. En définitive, c’est le gouvernement élu qui est responsable du financement de la CBC/SRC, ainsi que des décisions budgétaires du service public de radiodiffusion.

C’est ce que j’avais rappelé dans mon opinion minoritaire de 2008, en insistant sur les objectifs de la loi régissant la CBC/SRC, qui fait de la couverture locale le deuxième objectif du service public, juste après le contenu canadien! Même dans le plan stratégique de l’époque, la couverture locale constituait la deuxième priorité du conseil d’administration.

Quatre ans plus tard, la Société a produit un nouveau plan stratégique. La priorité accordée à la couverture locale y est encore plus explicite. Les téléspectateurs du service public peuvent donc être rassurés de ce point de vue.

Dans le sommaire du plan d’entreprise, publié en septembre 2011, le président Hubert Lacroix écrit :

« À de nombreuses reprises, les Canadiens nous ont dit que les régions se classent parmi nos plus importantes priorités, mais qu’ils ont l’impression que nous n’exploitons pas notre plein potentiel. Pour différentes raisons, nous n’avons pas toujours été présents partout où c’était nécessaire, ni capable d’accomplir tout ce qui était nécessaire. Nous renverserons cette tendance en comblant cet écart de perception et en renforçant notre présence dans les régions.

[...] Nous explorerons enfin de nouveaux partenariats pour accroître notre portée et notre impact. Même si les moyens mis en œuvre varieront d’un marché à l’autre et entre les Services français et les Services anglais, la stratégie nous amènera à ouvrir de nouvelles stations (surtout des stations de radio), à accroître les services dans d’autres. Nous ne quitterons aucun endroit, mais il se pourrait que nous modifiions les prestations de nos services à certains endroits. Nous lancerons de nouveaux sites web locaux et hyperlocaux, de nouveaux formats à la radio et nous augmenterons l’information régionale à la télévision pour qu’elle soit diffusée sept jours sur sept. »

Sept jours sur sept, et pas un mot sur le FAPL! Eh oui, comme on peut le constater, le président Lacroix ne fait aucune allusion au Fonds dans l’élaboration de la stratégie de l’entreprise vers un plus grand ancrage régional, tous marchés confondus.

Ce parti pris de la Société en faveur d’une plus grande présence régionale, fut confirmée récemment dans cette entrevue bilan de fin de mandat accordée au Globe and Mail.

D’ailleurs, lors des audiences, le vice-président des Services français, M. Louis Lalande, a lui aussi abondé dans le même sens.

Jamais, par exemple, contrairement aux représentants de Bell Media, il n’a évoqué la possibilité que des stations locales spécifiques soient fermées. Tout au plus a-t-il laissé entendre en des termes très vagues qu’il y aurait sans doute moins de production en région. Quant à la question des communautés de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM), elle fut évoquée, mais sans le spectre des fermetures ou d’une couverture minimale ou d’un recul en arrière prononcé dans l’éventualité ou le FAPL était supprimé. Rappelons, pour les fins du dossier, que la question des CLOSM elles-mêmes ne faisait pas partie, en 2008, de l’avis public! Certes, l’avis public de radiodiffusion 2008-100, en créant le FAPL, a fait allusion à cet objectif, mais la priorité du Conseil était la programmation locale et, très secondairement, les minorités linguistiques. L’avis public de radiodiffusion 2007-10-1, même avec ses modifications subséquentes jusqu’à l’avis public de radiodiffusion 2007-10-7, n’a jamais soulevé la question de la programmation locale pour les CLOSM. La décision de radiodiffusion 2009-70 vint confirmer que dans le cadre de la mise en place du FAPL, le CRTC abandonnait le critère des dépenses additionnelles autant dans les marchés traditionnels que dans les marchés de communautés en situation linguistique minoritaire. Nul doute que les audiences portant sur le renouvellement de la licence de la CBC/SRC seront plus porteuses à ce sujet, puisqu’il s’agit ici du mandat même de la société publique.

Par ailleurs, M. Lalande a fortement insisté pour dire que jamais, dans le passé, la Société n’avait fermé de stations locales. Cette affirmation surprenante d’un ex-responsable des régions est bien sûr contraire aux faits, puisque pas moins de 11 stations ont été fermées par les deux réseaux dans les années 1990, mais cela pourrait aussi traduire l’enthousiasme de la Société, voire sa détermination, et ce, conformément à son mandat, de maintenir en service les stations existantes tant au Québec qu’à l’extérieur du Québec.

Troisièmement, la Société Radio-Canada bénéficie d’une allocation de 38 % des budgets de plus de 1,7 milliard de dollars du diffuseur public dans son ensemble. Ce pourcentage va donc bien au-delà de la représentation francophone dans les différentes provinces. Enfin, non seulement la Société Radio-Canada dispose-t-elle de budgets très généreux comparativement aux services de la CBC, mais elle peut compter également sur plus de journalistes que la CBC pour remplir sa mission et assurer sa présence dans les différentes régions du pays. Le sénateur Pierre De Bané, membre du Comité du Sénat sur les langues officielles, publiait récemment un document fort critique de plus de 160 pages sur le caractère biaisé de la programmation de Radio-Canada en tant qu’institution fédérale. Ayant obtenu des données non publiées sur le nombre de journalistes travaillant à la CBC/SRC, il faisait le constat qu’en 2010, 1 246 journalistes étaient à l’emploi du diffuseur public, dont 596 pour la CBC et 637 pour la Société Radio-Canada. Non seulement le Québec compte-t-il deux fois plus de journalistes de langue française travaillant au réseau français (406) que la CBC en Ontario (194), où se trouve pourtant la capitale du Canada, mais il en va de même dans chacune des autres provinces canadiennes : la SRC compte 89 journalistes en Ontario, 25 en Alberta, 23 en Colombie-Britannique, 25 au Manitoba et 32 au Nouveau-Brunswick, pour ne nommer que ces provinces. Dans chacune de ces provinces, le nombre de journalistes travaillant pour le réseau de langue française représente entre 37 et 67 % du nombre de journalistes travaillant pour la CBC, malgré des cotes d’écoute qui sont si faibles qu’on ne peut les mesurer correctement. Enfin, au Nouveau-Brunswick, où les francophones sont également minoritaires, on compte tout simplement plus de journalistes travaillant pour la SRC (32) que de journalistes travaillant pour la CBC (22). Ce sont là les chiffres officiels de la CBC/SRC! Difficile de prétendre que Radio-Canada, en matière d’information, n’a pas affecté beaucoup de ressources en milieu minoritaire de langue française.

Enfin, s’il est vrai qu’en 2009, comme dans le cas des autres radiodiffuseurs privés, les revenus publicitaires de la CBC/SRC avaient chuté par rapport à l’année précédente, passant de 365 à 296 millions de dollars (du côté français environ le tiers des revenus), cette chute ne représentait que 8 millions de dollars (de 112 à 104 millions de dollars) du côté des services français. En fait, dès 2010, la SRC avait complètement repris le terrain perdu en 2009. Non seulement les deux réseaux réalisent-ils aujourd’hui autant de revenus publicitaires qu’en 2008, mais la Société prévoit qu’ils passeront de 369 millions de dollars en 2011 à 372 millions de dollars en 2011-2012, et à 439 millions de dollars en 2014-2015, soit une augmentation de 67 millions de dollars par année au terme de la dernière année. C’est sans doute dans ce contexte qu’il faut comprendre qu’à aucun moment, pendant les audiences, le vice-président des Services français n’a évoqué la possibilité d’une fermeture de stations locales, y compris dans les milieux minoritaires, dans l’éventualité d’une cessation des activités du FAPL. Contrairement aux politiques poursuivies à la fin des années 1990 par le conseil d’administration de la SRC/CBC, la couverture locale semble désormais ancrée dans la mission même du service public. Dans son livre publié récemment et intitulé The Tower of Babble: Sins, Secrets and Successes Inside the CBC, l’ex-président de la CBC, Richard Stursburg, évoque clairement en page 303 la décision de la CBC de ne plus fermer de stations de télévision au niveau local. La Société semble avoir compris qu’elle doit s’enraciner comme service public sur l’ensemble du territoire, relever le défi de la « montréalisation des ondes » et du « Toronto centric » de la SRC et de la CBC traditionnelles, respectivement. Pour Radio One, ce virage pour une programmation plus locale produit d’ailleurs des résultats décisifs dans les marchés de langue anglaise. Par exemple, Radio One, toutes stations confondues, selon les enregistrements PPM ou les cahiers d’écoute BBM, occupe aujourd’hui la deuxième place dans le marché de Toronto, la métropole du pays (10,4 % - PPM), et la première place, toujours toutes stations musicales et parlées confondues, dans les marchés de Calgary (10,4 % - PPM), Vancouver (10,9 % - PPM) et Ottawa-Gatineau (21,9 % - BBM). Après les grandes vedettes « nationales », dont les cotes d’écoute étaient largement inférieures, il fallait y croire. La CBC y a cru et elle récolte aujourd’hui les fruits de son pari en faveur d’un meilleur enracinement local. Du jamais vu.

Il s’ensuit que CBC/SRC aura désormais tout intérêt à maintenir des ressources dans ses stations afin d’offrir un service local à la population. Ainsi, la SRC, dans sa couverture du pays et des minorités de langue française, continuera de profiter des installations de la CBC dans l’ensemble de la fédération.

Conclusion

Avec la présente décision, les radiodiffuseurs auront reçu pendant cinq ans près de 400 millions de dollars du Fonds pour l’amélioration de la programmation locale sans autres conditions que celles qui faisaient déjà parti de leurs conditions de licence.

Mis sur pied sans avis public, pendant une période de difficultés financières, ce FAPL a vite été assimilé à un fonds d’urgence, faute d’avoir mis de l’avant l’amélioration de la programmation locale, comme son nom l’indique. Après trois ans, à défaut de critères objectifs, mesurables et historiques, personne ne peut vraiment dire comment la programmation locale, et surtout les nouvelles locales, dont c’était l’objectif principal, s’en sont trouvées améliorées grâce à l’allocation d’une enveloppe globale de plus de 300 millions de dollars à 80 stations réparties dans de petits marchés de moins d’un million d’habitants.

Ces 300 millions de dollars auraient pu soutenir une véritable revalorisation de la programmation locale. Voilà bien une occasion qui nous a échappé, mais surtout, voilà un exemple d’une politique publique plombée dès le départ par son manque de transparence sur les sommes versées aux entreprises de radiodiffusion, un exemple qui, je l’espère, ne se répétera pas.

Pour toutes ces raisons, je concoure donc à l’opinion de la majorité, qui a décidé de mettre fin à ce fonds qui n’avait d’autre objectif, force est de le reconnaître, que d’apporter une aide ponctuelle à des stations généralistes privées et secondairement publiques dans les petits marchés de moins d’un million d’habitants.

À la veille de la fin de mon mandat de cinq ans comme conseiller au CRTC, je termine pour ainsi dire en beauté en concourant à l’opinion de la majorité. Cette opinion s’ajoute aux quinze autres opinions minoritaires déjà produites, dont la liste figure à la fin de mon opinion. Mais, dans ce cas comme dans les autres, j’ai toujours été guidé par les mêmes principes.

À mon avis, le respect du consommateur par un dossier public transparent est au cœur même de mon engagement. Dans le cas du FAPL, ces principes n’ont pas été respectés, comme j’espère l’avoir démontré plus haut. Le Conseil a lourdement fauté : 1) par le lancement d’un fonds qui aurait pu être élaboré dans le cadre de sa propre instance publique, et 2) par l’absence de transparence dans la distribution des enveloppes, non seulement station par station, mais pour une dizaine de bénéficiaires pour lesquels on ne saura jamais combien ils ont reçu au cours des cinq années qui se termineront en 2014.

Mis sur pied dans le contexte d’une mort annoncée de la télévision locale, le FAPL fut mal ciblé et non transparent. Il avait tous les ingrédients de ce qu’il ne faut pas faire en tant que régulateur. Les 11,3 millions d’abonnés qui contribuent au système canadien de radiodiffusion méritaient mieux que ça.

Liste des 15 opinions minoritaires

Notes de bas de page

[1] Commissaire aux langues officielles et al c. Société Radio-Canada, 2012 CF 650, voir plus particulièrement les paragraphes 56 à 58

[2] Voir les paragraphes 355 à 384 de Cadres réglementaires des entreprises de distribution de radiodiffusion et des services de programmation facultatifs – Politique réglementaire, avis public de radiodiffusion CRTC 2008-100, 30 octobre 2008.

[3] Pour arriver à ces totaux, toutes les interventions déposées au dossier public ont été analysées et catégorisées individuellement par l’auteur de la présente opinion. Il est possible que cette analyse et cette catégorisation diffère légèrement si elle est faite par une autre personne. Je tiens cependant à assurer au lecteur que l’analyse et la catégorisation ont été faites avec le plus grand souci de rigueur et d’objectivité. De plus, par respect pour la décision majoritaire, les totaux présentés dans le paragraphe de la présente opinion dans lequel se trouve cette note de bas de page sont le plus inclusifs possible compte tenu de la catégorisation qui a été retenue.

[4] La dernière phrase du paragraphe 13 de la décision majoritaire indique que « la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada et d’autres associations communautaires ont souligné que les CLOSM devraient continuer à recevoir une programmation locale dans leur propre langue ». Dans mon calcul du nombre d’intervenants qu’on pouvait qualifier d’associations communautaires de CLOSM, j’ai retenu autant celles qui représentaient les communautés de langue française en situation minoritaire (12) que celles qui représentaient les communautés de langue anglaise en situation minoritaire (3). Les communautés de langue anglaise en situation minoritaire ne bénéficient pas pour l’instant du FAPL, mais elles reçoivent néanmoins, grâce aux diffuseurs installés à Montréal, une programmation locale dans leur propre langue. Les interventions faites par ELAN (intervention # 1309) et par le Quebec English Production Committee (intervention # 1270) ont été assignées aux groupes représentant les CLOSM et non pas à l’industrie de la production compte tenu du propos important lié aux CLOSM dans les textes qu’ils ont soumis.

[5] Le Conseil a inscrit sur son site internet qu’il a reçu 1 335 interventions dans le cadre de cette audience. Cependant lors de mon passage en revue de ces interventions, j’en ai compté un plus grand nombre d’où le total mentionné de 1 352 dans la présente opinion.

[6] Interventions déposées par Durham Radio (intervention # 1307), Astral Radio (intervention # 1288) et CJ Radio (intervention # 7).

[7] Intervention déposée par Newcap (intervention #5).

[8] Les 1 352 interventions considérées dans cette analyse sont distinctes, y compris toutes celles qui appuyaient CHCH. On y retrouve un modèle de lettre pour un certain nombre d’appuis pour RNC, mais elles ont toutes été soumises individuellement par chacun des intervenants.

[9] Les dépôts faits par courrier électronique à partir du site internet du Conseil sont considérés comme des lettres aux fins de cette compilation.

[10] J’ai défini de manière arbitraire un mémoire comme tout document comptant plus de 2 pages.

[11] Dans ma revue des interventions, je n’en ai identifié aucune, sauf erreur, provenant du Nunavut.

>[12] Ce sont les interventions déposées par le Commissaire aux langues officielles (intervention # 1220), la SRC (intervention no # 1323), On Screen Manitoba (intervention # 1340) et le député de la circonscription électorale fédérale de Jeanne Leber, M. Tyrone Benskin (intervention #1359).

[13] Il s’agit d’une entreprise intégrée verticalement, nommément Québecor Média inc. (intervention # 1312). Par ailleurs, comme Cogeco Cable a soumis une intervention en anglais, celle-ci est considérée dans cette section comme une intervention en langue anglaise, et ce, malgré sa présence notable autant au Québec qu’en Ontario. Notons que Cogeco Cable partage l’opinion de Québecor Média inc. au sujet de l’élimination du FAPL.

[14] Voir le paragraphe 355 de Cadres réglementaires des entreprises de distribution de radiodiffusion et des services de programmation facultatifs – Politique réglementaire, avis public de radiodiffusion CRTC 2008-100, 30 octobre 2008.

[15] Voir le paragraphe 25 de Décisions de politique découlant de l’audience publique du 27 avril 2009, politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2009-406, 6 juillet 2009.

[16] Voir les interventions déposées par la Fédération nationale des communications (intervention # 1330 ) et par le Bloc Québecois (intervention # 1378).

[17] Voir intervention # 1315.

[18] Transcription de l’audience relative à l’ Examen du Fonds pour l’amélioration de la programmation locale - l’Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2011-788, 2011-788-1 et 2011-788-2, Volume 5 - Consultation publique tenue à Gatineau (Québec) - 20 avril 2012, paragraphe 9726.

[19] Ibid, paragraphe 9727.

[20] Voir note 12.

[21] Les interventions bilingues ont été réparties à parts égales entre les deux langues aux fins de ce calcul.

[22] Issalys Pierre et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives, Yvon Blais, Cowansville, 3e éd., 1566 p.

[23] Ibid, à la page 457.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Ibid. à la page 461.

[27] Ibid. à la page 462.

[28] Article 3(1)i)(i) de la Loi sur la radiodiffusion.

[29] Article 56 de la Loi sur les langues officielles.

[30] Importance dont font état les 41 interventions en appui à la SRC déposées par des intervenants issus des CLOSM ou qui les appuient.

[31] La condition de licence no 11 énoncée à l’annexe de Conditions de licence, attentes et encouragements normalisés pour les stations de télévision traditionnelle, politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2011-442, 27 juillet 2011, se lit comme suit : Si le service est exploité dans un marché de télévision métropolitain, le titulaire doit diffuser au moins 14 heures d’émissions locales canadiennes au cours de chaque semaine de radiodiffusion.

[32] Voir notamment l’intervention # 1244 déposée par la Municipalité de Grand-Sault (Nouveau-Brunswick).

[33] Je tiens cependant à souligner que j’apprécie le fait que cette décision majoritaire amenuise les répercussions négatives du retrait de cette source de financement pour les stations locales, en l’échelonnant sur deux ans bien que j’aurais préféré trois ans, tel que suggéré par Rogers. Ce retrait progressif a au moins l’avantage d’assurer une certaine prévisibilité et de maintenir l’ensemble des conditions actuelles en ne modifiant qu’un seul élément des conditions en vigueur soit, les sommes perçues auprès des EDR (une réduction à 1 % en 2012, puis à 0,5 % en 2013).

[34] Les données économiques et le dossier public de cette instance démontrent que la situation financière des stations traditionnelles s’est améliorée depuis la fin de la crise économique récente et que les conditions économiques actuelles ne justifient plus l’augmentation du Fonds à 1,5 %. En ce sens, j’approuve la décision du Conseil de réduire de 1,5 % à 1 % la contribution des EDR.

[35]Déclaration faite lors de l’audience publique et reprise au paragraphe 12 de la décision majoritaire du Conseil

[36] Paragraphe 21

[37] Une hausse de profitabilité de 21 % entre 2008 et 2011

[38] Paragraphe 377 de l’avis public de radiodiffusion 2008-100

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