ARCHIVÉ - Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2009-725

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Référence au processus :
Avis public de radiodiffusion CRTC 2009-254

Ottawa, le 26 novembre 2009

 

Ajout d’Al Jazeera English aux listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique

  Le Conseil approuve une demande en vue d’ajouter Al Jazeera English (AJE) aux listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique et modifie ces listes en conséquence. Les listes révisées peuvent être consultées sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « Secteur de la radiodiffusion ».
  AJE est un service de nouvelles internationales en langue anglaise, en ondes 24 heures sur 24, tous les jours de la semaine, actuellement distribué dans une centaine de pays et sur Internet. Le Conseil note l’appui considérable que reçoit l’ajout d’AJE aux listes numériques et estime qu’AJE enrichira la diversité des points de vue éditoriaux dans le système de radiodiffusion canadien. En outre, malgré les craintes exprimées par certains intervenants, rien dans le dossier de la présente instance n’incite le Conseil à penser qu’AJE enfreindrait les lois canadiennes, dont celles à l’égard de propos offensants.
  Une opinion minoritaire du conseiller Marc Patrone est jointe à la présente politique.
 

Introduction

1.

Le Conseil a reçu une demande datée du 27 février 2009 de la part d’Ethnic Channels Group Limited (ECGL) en vue d’ajouter Al Jazeera English (AJE), un service par satellite non canadien de langue anglaise en provenance du Qatar, aux listes des services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique (les listes numériques).

2.

ECGL décrit AJE comme un service de nouvelles internationales de langue anglaise, en ondes 24 heures sur 24, tous les jours de la semaine. Il est actuellement distribué dans une centaine de pays et sur Internet.

3.

L’approche générale du Conseil pour l’ajout de services non canadiens qui diffusent en langue française ou anglaise est énoncée dans l’avis public 2000-173. Elle consiste en gros à ne pas autoriser l’ajout d’un service par satellite non canadien quand le Conseil est d’avis que ce service fait entièrement ou partiellement concurrence à un service canadien de télévision spécialisée ou payante.

4.

Dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, le Conseil confirme cette approche à l’égard des services non canadiens de langue française ou anglaise. Toutefois, pour ce qui est des services non canadiens de nouvelles, le Conseil conclut que leur consentir l’entrée libre s’avère davantage conforme à l’importance qu’il accorde à la diversité des points de vue éditoriaux. Par conséquent, le Conseil affirme qu’en « l’absence de preuves concluantes, déterminées par le Conseil, qu’un service de nouvelles non canadien serait incapable de respecter les règlements canadiens, par exemple ceux à l’égard des propos offensants, le Conseil sera disposé à autoriser la distribution au Canada de services de nouvelles non canadiens. »

5.

Le Conseil a publié l’avis de consultation de radiodiffusion 2009-254 pour solliciter les observations sur l’ajout proposé d’AJE. Conformément à la nouvelle approche énoncée dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100à l’égard des services de nouvelles non canadiens, le Conseil a demandé aux intervenants s’opposant à la distribution d’AJE au Canada par crainte que celui-ci ne respecte pas les règlements canadiens de fournir des preuves pour étayer leur position. Il a cité comme preuves recevables des transcriptions ou des enregistrements d’émissions diffusées sur AJE, avec la date de diffusion.
 

Interventions

6. Le Conseil a reçu un grand nombre d’interventions concernant l’ajout proposé d’AJE aux listes numériques. Plus de 2600 parties sont intervenues en faveur de la demande, une quarantaine s’y sont opposées et sept intervenants ont fait des commentaires d’ordre général.
7. Les nombreux particuliers et organisations qui sont intervenus en faveur de la demande comprennent entre autres le Conseil national des relations canado-arabes, les Canadiens pour la justice et la paix au Moyen-Orient, la Fédération canado-arabe, l’Association des avocats arabo-canadiens, Voix juives indépendantes, l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, Arab Canadian Association of the Atlantic Provinces, Journalistes canadiens pour la liberté d’expression, Canada Palestine Support Network, l’Union internationale des employés des services, les députés Paul Dewar (Ottawa-Centre), Jack Layton (Toronto-Danforth), Peter Julian (Burnaby-New Westminster) et Libby Davies (Vancouver-Est), les sénateurs Marcel Prud’homme et Hugh D. Segal.
8. De façon générale, les interventions favorables suggéraient que le Conseil approuve la demande étant donné :
  • la haute qualité générale de la programmation d’AJE;
  • la couverture internationale impressionnante d’AJE;
  • les avantages pour le système canadien de radiodiffusion à accroître la diversité de la programmation et à présenter différentes perspectives sur la situation dans le monde.
9. Les observations défavorables, toutes émanant de particuliers, invoquaient généralement la crainte que :
  • AJE n’enfreigne les règlements canadiens, comme celui qui interdit la diffusion de propos offensants;
  • les reportages d’AJE ne soient pas équilibrés;
  • AJE ne soit incompatible avec les valeurs des Canadiens.
10. Quelques intervenants, dont le Congrès juif canadien (CJC), B’nai Brith Canada et Honest Reporting Canada (HRC), ont fourni des commentaires d’ordre général concernant l’ajout éventuel d’AJE aux listes numériques, sans toutefois se déclarer ni pour, ni contre. B’nai Brith Canada a laissé savoir qu’elle avait négocié avec le directeur général d’AJE la mise sur pied d’un comité consultatif permettant à la communauté juive canadienne et à ses représentants, B’nai Brith Canada et le CJC, de faire part de leurs commentaires sur le contenu des émissions d’AJE au Canada. Par conséquent, tout en restant préoccupé et vigilant, B’nai Brith Canada ne s’oppose pas à l’ajout d’AJE aux listes numériques.
11. Sans s’opposer non plus à l’ajout d’AJE aux listes, le CJC déclare entretenir certaines craintes à propos du service. Selon le CJC, le Conseil doit voir à ce que 1) AJE s’abstienne de nier l’holocauste ou de faire toute autre déclaration antisémite, 2) AJE demeure véritablement indépendante de son pendant de langue arabe, 3) il y ait une cloison étanche entre AJE et le gouvernement du Qatar, et que 4) le CJC soit invité à faire partie d’un comité consultatif.
12. HRC soutient que les reportages d’AJE se sont révélés injustes, inexacts et biaisés à diverses reprises dans le passé. HRC fournit deux exemples de reportages d’AJE qui, à son avis, ne se conformeraient pas aux normes et pratiques journalistiques canadiennes. Le premier est un reportage d’AJE transmis sur CBC Newsworld le 6 janvier 2009 concernant des plaintes émises par le comité international de la Croix Rouge et par les Nations Unies à l’effet que certains de leurs travailleurs dans la bande de Gaza étaient blessés ou tués. Au cours du reportage, le correspondant d’AJE a déclaré que les travailleurs des Nations Unies avaient été « de toute évidence ciblés » par les Israéliens. HRC rapporte qu’en réponse à la plainte qu’il a faite, l’ombudsman de la SRC a noté que ce reportage d’AJE « ne respectait pas les normes d’exactitude et d’équité qui font partie des normes et pratiques journalistiques de la SRC1 ».
13. Le second exemple proposé par HRC est un reportage retransmis par la Société Radio-Canada (SRC) en 2007 sur l’émission Around the World, dans lequel le correspondant d’AJE décrit les prisonniers palestiniens comme « widely respected fighters against the occupation » (de respectables combattants contre l’occupation). HRC prétend que cette façon de les décrire donne l’impression qu’il s’agit de prisonniers politiques, alors que plusieurs d’entre eux étaient emprisonnés pour avoir mené des attaques terroristes. HRC en conclut que, si le Conseil devait autoriser la distribution d’AJE, il faudrait à tout le moins qu’il impose les mêmes modalités rigoureuses qui ont accompagné l’approbation en 2004 du service Al Jazeera en langue arabe (AJA).
14. Un particulier affirme lui aussi qu’AJE présente régulièrement des reportages biaisés ou unilatéraux et dépose en guise de preuve quatre séquences télévisées extraites d’émissions transmises par AJE. Deux séquences présentent des entrevues avec des officiels israéliens et l’intervenant qui les dépose affirme que le journaliste y accuse ouvertement ses invités d’avoir causé la mort de victimes innocentes. Les deux autres séquences sont des reportages d’AJE que l’intervenant qualifie de biaisés parce qu’ils ne présentent qu’un côté de la médaille et ne font pas allusion aux actions du Hamas à Gaza.
  Réplique du parrain
15. En réponse aux opposants, ECGL affirme que le dossier de l’instance publique n’a démontré d’aucune façon que la programmation d’AJE pouvait enfreindre un règlement canadien quel qu’il soit et que, le Conseil ayant déjà annoncé qu’il était disposé à autoriser des services de nouvelles non canadiens, AJE devrait être ajouté aux listes numériques. ECGL ajoute que l’appui d’un si grand nombre de Canadiens est signe qu’AJE apporterait une nouvelle perspective appréciable dans le système de radiodiffusion canadien. ECGL confirme qu’AJE consent à consulter les représentants des principaux organismes juifs au moins deux fois dans l’année suivant la mise en exploitation d’AJE au Canada.
16. Selon ECGL, son dossier irréprochable est la preuve qu’AJE ne risque pas de diffuser de contenu antisémite et que le gouvernement du Qatar n’interviendra aucunement dans le contenu. En réponse aux craintes du CJC, ECGL rappelle qu’AJE et AJA sont deux services distincts et affirme qu’il serait mal venu de se servir du dossier de radiodiffusion d’AJA pour évaluer une demande visant à ajouter AJE aux listes numériques, même si les deux services ont un propriétaire commun.
17. ECGL déclare que les journalistes et la direction d’AJE prennent très au sérieux leur Code de déontologie qui mise sur des valeurs comme l’honnêteté, la justice, l’équilibre, l’indépendance journalistique et la crédibilité. ECGL ajoute que le fait d’avoir accepté de rencontrer la communauté juive canadienne montre la bonne foi d’AJE et l’importance que celle-ci accorde à la communication.
18. Pour terminer, ECGL assure que les deux exemples fournis par HRC à l’appui de ses allégations de reportage biaisé sont fautifs ou pernicieux. Le premier reportage que cite HRC, durant lequel le correspondant d’AJE affirme que les travailleurs des Nations Unies avaient été « de toute évidence ciblés » par les Israéliens s’avère, selon ECGL, vérifiable, exact, juste et raisonnable. ECGL fait remarquer que la même nouvelle a été rapportée par d’autres organes réputés tels que le Jerusalem Post, le New York Times et le Sydney Morning Herald. Selon ECGL, le jugement de l’ombudsman de la SRC n’a pas été rendu selon les règles puisqu’il n’a pas consulté toutes les parties (c.-à-d. qu’AJE n’a pas été consultée) au préalable, ce qui contrevient à la pratique habituelle de la SRC.
19. ECGL affirme que le correspondant est mal cité dans le second exemple fourni par HRC. HRC prétend qu’il aurait dit que les prisonniers étaient « widely respected fighters against the occupation » (de respectables combattants contre l’occupation) alors qu’il a dit « widely respected as fighters against the occupation » (des personnes respectées en tant que combattants contre l’occupation). ECGL est d’avis que le fait d’omettre le mot « as » (en tant que) jette une toute autre lumière sur le reportage, car le journaliste, en disant que ces hommes avaient le respect des Palestiniens, voulait expliquer la colère de ceux-ci en apprenant leur mort.
 

Analyse et décision du Conseil

20. Tel que noté ci-dessus, le Conseil a établi, dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100, que :

En l’absence de preuves concluantes, déterminées par le Conseil, qu’un service de nouvelles non canadien serait incapable de respecter les règlements canadiens, par exemple ceux à l’égard des propos offensants, le Conseil sera disposé à autoriser la distribution au Canada de services de nouvelles non canadiens.

21. Dans l’avis de consultation de radiodiffusion 2009-254, le Conseil a fait allusion à cette approche d’entrée libre, réitérant qu’il considère qu’elle répond à l’objectif d’assurer la diversité des points de vue éditoriaux dans le système canadien de radiodiffusion. Le Conseil a demandé aux intervenants qui voudraient s’opposer à la distribution d’AJE au Canada de fournir des explications détaillées à l’appui de leur position.
22. Après avoir étudié le dossier de l’instance, le Conseil juge approprié d’autoriser la distribution d’AJE au Canada. Le Conseil fait remarquer que, malgré les craintes de certains intervenants que ce service ne diffuse des propos offensants, le dossier ne renferme ni transcription ni enregistrement à l’appui de ces dires, comme le demandait l’avis de consultation de radiodiffusion 2009-254. Par conséquent, rien n’incite le Conseil à penser qu’il y a un grand risque qu’AJE diffuse des propos offensants. Le Conseil note qu’il a la compétence de rayer AJE ou tout autre service non canadien des listes numériques advenant qu’il soit établi, à la suite d’un processus approprié, que le service a diffusé des propos offensants.
23. Pour ce qui est de la déclaration de HRC à l’effet qu’AJE ne se conforme pas aux normes et pratiques journalistiques canadiennes, et que le Conseil devrait imposer les mêmes conditions rigoureuses pour la distribution d’AJE que celles imposées à AJA2, le Conseil rappelle que les conditions imposées dans le cas d’AJA étaient justifiées par une incidence de propos offensants diffusés par AJA, dûment étayée dans le dossier de l’instance ayant servi à étudier la distribution de ce service au Canada.
24. Concernant les allégations à l’effet que les reportages d’AJE ne donneraient qu’un côté de la médaille, le Conseil remarque que, dans deux des quatre séquences décrites plus haut, les porte-parole israéliens ont eu l’occasion de donner leur point de vue sur AJE. De façon générale, le Conseil rappelle qu’un service, pour assurer l’équilibre, doit présenter divers points de vue sur une situation à l’intérieur d’une période raisonnable et non pas nécessairement dans chaque reportage et dans chaque émission3. C’est pourquoi les six reportages (les quatre séquences filmées plus les deux reportages cités par HRC) qui ont été transmis entre octobre 2007 et mai 2009 ne permettent pas à eux seuls de conclure que les reportages d’AJE ne sont pas équilibrés dans l’ensemble.
25. Le Conseil considère de plus que la volonté, exprimée par la direction d’AJE, de consulter des organismes juifs canadiens au sujet de sa programmation et ce, dans l’année suivant la mise en exploitation d’AJE au Canada, constitue une indication de son engagement à fournir une couverture équilibrée et une variété de points de vue.
26. Quant à la contribution potentielle d’AJE à la diversité des points de vue éditoriaux dans le système de radiodiffusion canadien, le Conseil note l’appui important pour l’ajout de ce service, ainsi que les nombreuses observations positives reçues quant à la qualité du service.
27. Par conséquent, le Conseil approuve l’ajout d’Al Jazeera English aux listes des services par satellite admissibles et modifie ces listes en conséquence. On peut consulter les listes révisées sur le site web du Conseil, www.crtc.gc.ca, sous « secteur de la radiodiffusion », ou en obtenir un exemplaire imprimé sur demande.
  Secrétaire général
 

Documents connexes

 
  • Appel aux observations sur l’ajout proposé de Al Jazeera English aux listes des services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique, avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2009-254, 7 mai 2009
 
  • Cadres réglementaires des entreprises de distribution de radiodiffusion et des services de programmation facultatifs – politique réglementaire, avis public de radiodiffusion CRTC 2008-100, 30 octobre 2008
 
  • Demandes d’inscription d’Al-Jazira sur les listes de services par satellite admissibles à une distribution en mode numérique, avis public de radiodiffusion CRTC 2004-51, 15 juillet 2004
 
  • Appel de propositions visant à modifier les listes de services par satellite admissibles en incluant d’autres services non canadiens admissibles devant être distribués en mode numérique uniquement, avis public CRTC 2000-173, 14 décembre 2000.
  Le présent document est disponible, sur demande, en média substitut, et peut également être consulté en version PDF ou en HTML sur le site Internet suivant : http://www.crtc.gc.ca.
 

Opinion minoritaire du conseiller Marc Patrone

  Lorsqu’il a approuvé l’ajout du service de nouvelles et d’affaires publiques de langue arabe Al Jazira aux listes des services par satellite admissibles dans l’avis public de radiodiffusion 2004-51, le Conseil a imposé des critères de « surveillance » apparemment suffisamment sévères pour que les entreprises de distribution de radiodiffusion aient jusqu’à présent refusé de distribuer ce service. Quelques-uns des intervenants dans le cadre de cette instance ont soumis de multiples exemples de propos haineux diffusés par Al Jazira. Ces interventions font encore partie du dossier de l’instance. Se fiant en partie à cette preuve, le Conseil a justifié sa décision d’imposer de strictes conditions au service de langue arabe dans le paragraphe suivant :
 

Le Conseil estime que l’objectif de la réglementation des propos offensants justifie d’imposer des limites à la liberté d'expression. Les effets nuisibles de ces propos menacent les valeurs d’égalité et de multiculturalisme enchâssées dans les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion et dans les articles 15 et 27 de la Charte.

  Compte tenu de l’évaluation initiale rigide d’Al Jazira en langue arabe (AJA) en 2004, nous nous serions attendus à ce que la cette demande plus récente par ce même réseau pour un service de langue anglaise fasse l’objet de l’examen le plus rigoureux possible – d’un examen qui aurait entre autres réévalué les politiques journalistiques de l’ensemble du réseau. Malheureusement, tel n’a pas été le cas. Bien que certains intervenants aient fait valoir que le Conseil devait tenir compte du dossier de radiodiffusion d’AJA, mes collègues, conformément à l’approche habituelle du Conseil, ont refusé de s’engager dans cette voie. La conséquence de cette décision est, selon moi, que le dossier complet d’Al Jazira n’a pas été vérifié à fond – comme il aurait dû l’être.
  En temps normal, je dirais qu’une approche qui examine les services étrangers sans tenir compte de tous les autres, indépendamment de la question de propriété commune, est une approche saine. Les qualités d’un service varient parfois considérablement de celles des autres services appartenant à un même groupe ou à une même entité. Toutefois, je pense que les enjeux intrinsèques aux valeurs canadiennes – ici, la possibilité que notre système de radiodiffusion serve à répandre une haine ethnique ou religieuse – sont trop importants pour se limiter aux strictes conventions réglementaires établies.
  Si, comme je crois que c’est le cas, l’approche adoptée par mes collègues nous laisse vulnérables aux « effets nuisibles de ces propos [qui] menacent les valeurs d’égalité et de multiculturalisme4 », alors celle-ci fait échec à la capacité de l’organisme de réglementation d’évaluer les enjeux cruciaux dont il est question. Et puisque je crois que c’est le cas dans la présente décision, j’ai décidé de présenter une opinion minoritaire.
  À supposer que ce service de langue anglaise soit examiné indépendamment des autres, le dossier contient des preuves de « partis pris » éditoriaux qui n’auraient pas été tolérés longtemps de la part des radiodiffuseurs canadiens. Un intervenant, Honest Reporting Canada, a souligné que les reportages d’Al Jazeera English (AJE) avaient à plusieurs reprises été tendancieux, injustes et inexacts.
  Dans un reportage d’AJE diffusé par la SRC, le ou la correspondant(e) d’AJE a déclaré que des travailleurs de l’organisation des nations unies (ONU) avaient « de toute évidence été pris pour cibles » par les Israéliens. L’enquête ultérieure de l’ombudsman de la SRC a conclu que le reportage ne respectait pas les normes d’exactitude et d’équité des Normes et pratiques journalistiques de la SRC - une accusation plutôt accablante qui a pourtant eu peu d’effets sur la présente décision du Conseil. Le promoteur canadien d’Al Jazeera, Ethnics Channels Group Limited (ECGL), conteste la conclusion de la SRC et prétend que la déclaration concernant les travailleurs de l’ONU était « vérifiable, exacte, juste et raisonnable ».
  Si la chose est « vérifiable », pourquoi la copie du ou de la journaliste précise-t-elle « de toute évidence »? Si c’est un « fait » et que des travailleurs de l’ONU ont été « pris pour cibles par les Israéliens », pourquoi ne pas rapporter simplement la nouvelle comme un « fait »? Je vous dirais que c’est parce que le ou la journaliste n’a pas pu ou n’a pas voulu attribuer l’information à une source « vérifiable » ou « officielle ». Ce qui était « évident » pour lui ou elle était clairement une simple interprétation de sa part – d’où la nécessité de renforcer l’affirmation à l’effet qu’Israël cible les travailleurs de l’ONU en ajoutant « de toute évidence ». Pour qui était-ce évident? Selon moi, le ou la journaliste a simplement exprimé une opinion solidement ancrée. Dans certains cas (p. ex. : une nouvelle sensationnelle en direct), les « opinions » ou « impressions » verbalisées par les journalistes sont acceptables à condition qu’il soit clair qu’il s’agisse effectivement d’« opinions » ou d’« impressions », et non de faits censés être « évidents » pour tout le monde.
  Malgré la conclusion de l’enquête de l’ombudsman de la SRC, le Conseil a estimé que la raison n’était pas suffisamment convaincante pour rejeter la demande, voire pour l’approuver sous réserve des conditions de distribution imposées à AJA dans l’avis public de radiodiffusion 2004-51. Peut-être est-ce justifié. Toutefois, je maintiens qu’il est important d’exercer une surveillance beaucoup plus serrée du service que celle qui a été maintenue jusqu’à présent pour savoir exactement si ce service a des problèmes chroniques de partis pris éditoriaux.
  ECGL a déclaré que le dossier exemplaire d’AJE prouvait que le service ne véhiculerait pas de contenu antisémite et que le gouvernement qatari n’interférerait pas avec le contenu du service. ECGL a ajouté qu’AJE et AJA étaient des services distincts et qu’il ne faudrait pas évaluer le dossier de radiodiffusion d’AJA dans le contexte de l’examen de la demande d’ajout d’AJE aux listes, même si ces deux services étaient détenus par le même propriétaire.
  Le fait que la requérante presse l’organisme de réglementation de traiter le dossier « exemplaire » d’AJE différemment de celui d’AJA revient à admettre, selon moi, qu’il y a un problème de « parti pris » avec le service de langue arabe. Autrement, pourquoi insister sur le fait que le service de langue anglaise ne doit pas être « mis dans le même panier »? ECGL est-elle vraiment en position de soutenir que le gouvernement qatari adoptera une « politique de non-intervention » lorsqu’il s’agit du service de langue anglaise?
  En l’absence de tout pouvoir exécutoire de « réglementation » d’un service étranger, quels sont exactement les outils dont nous disposons qui pourrait assurer un traitement « juste »? Certes, nous pouvons traiter des « plaintes » après coup, mais notons les arguments à cet égard énoncés au paragraphe 75 de l’avis public de radiodiffusion 2004-51 :
 

Le Conseil n’est pas persuadé de la disponibilité actuelle de ces mécanismes ou, le cas échéant, de leur efficacité à régler les cas de propos offensants susceptibles d’être diffusés sur Al-Jazira. Premièrement, le Conseil note que l’interdiction de propos offensants exprimée à l’article 8(1)b) du Règlement ne s’applique qu’à la programmation dont l’entreprise de distribution est la source et ne peut donc s'appliquer au service d’Al-Jazira. Deuxièmement, les diffuseurs non canadiens ne peuvent adhérer au CCNR. Troisièmement, le Conseil doute que les lois sur la haine et la diffamation pourraient traiter de façon efficace la programmation d’Al-Jazira distribuée au Canada. Enfin, la suppression du service perturberait les abonnés et représenterait un outil trop répressif pour être utilisé en premier recours pour apaiser des inquiétudes liées à une petite partie de la programmation.

  Selon moi, le point de vue d’ECGL selon lequel il existe un « pare-feu linguistique » entre les deux services est pour le moins irréaliste. Le partage des ressources – que ce soit par des idées de reportages « vidéo », des conseils, de scénario, des « nouvelles sensationnelles en direct » ou autres – entre des services exploités par le même groupe de propriété sont monnaie courante partout où j’ai travaillé, et je suppose que la situation est la même pour Al Jazira.
  La décision d’approuver la demande d’AJE repose sur l’avis public de radiodiffusion 2008-100 dans lequel le Conseil a conclu qu’une approche d’entrée plus ou moins libre devrait être adoptée pour autoriser un service de nouvelles de langue anglaise ou française non canadien. En recommandant d’approuver AJE, le Conseil a estimé qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que des services non canadiens adhèrent aux codes canadiens de conduite qui régissent les pratiques journalistiques. De plus, le Conseil a déduit que le dossier de l’instance ne contenait rien qui pouvait l’inciter à conclure à l’existence d’un risque sérieux de diffusion de propos offensants sur les ondes d’AJE, sous-entendant par là que, même si risque il y a, celui-ci vaut la peine d’être couru compte tenu de l’éventuelle contribution du service à l’accroissement de la diversité au sein du système canadien de radiodiffusion.
  Je désapprouve respectueusement l’idée que ce « risque » vaille la peine d’être couru. Et s’il est vrai que le Canada ne peut pas s’attendre à ce que d’autres pays adhèrent à ses normes d’objectivité journalistique, j’affirmerais qu’il incombe à ce pays, par l’intermédiaire de son organisme de réglementation, de faire ce qu’il peut pour encourager d’autres pays à adopter eux-mêmes ces normes plutôt que d’abaisser les siennes pour les ajuster à celles des services étrangers. En fait, cette décision revient à dire que nous devons tolérer des partis pris journalistiques que nous n’accepterions jamais de nos services sous prétexte qu’il n’est pas facile d’exiger que d’autres adoptent nos normes rigoureuses.
  Cette décision ne fera qu’établir une double norme journalistique dans notre offre de nouvelles qui sapera notre capacité à exiger l’excellence de nos services canadiens à cet égard, avec pour corollaire une dépréciation de l’ensemble de notre système de radiodiffusion. En même temps, nous aurons manqué l’occasion d’envoyer au monde entier un message quant à la qualité des normes et des codes journalistiques que nous estimons assez importants pour exiger qu’ils soient respectés par tous les radiodiffuseurs de nouvelles désireux de diffuser dans notre pays. Il est nécessaire d’élargir la diversité, mais pas à n’importe quel prix.
  Il vaut la peine de noter que les radiodiffuseurs étrangers ne sont pas tenus d’être membres du Conseil canadien des normes de la radiotélévision. Il y aurait peut-être lieu d’exiger qu’ils le soient.
  Cela dit, je n’ai aucun doute qu’Al Jazira emploie des journalistes compétents et professionnels qui trouveraient à redire à l’idée que leurs normes ne soient pas à la hauteur de celles de l’organisme de réglementation du Canada. Ceux-ci sont sûrement très fiers du travail qu’ils accomplissent et parfaitement justifiés de penser ainsi. Je ne conteste pas leurs compétences en soi. Je désapprouve plutôt le raisonnement qui sous-tend notre décision – à savoir que nous devrions accepter d’abaisser nos normes d’« éthique » journalistique au bénéfice d’une plus grande diversité.
  L’autre sujet qui m’inquiète à propos de la décision de mes collègues porte sur les questions de propriété, plus particulièrement sur le fait que celles-ci ont été exclues de leurs délibérations. Cette préoccupation dépasse cependant les limites de la demande à l’origine de cette décision. Lorsqu’il soupèse les mérites des services étrangers, l’organisme de réglementation devrait être particulièrement vigilant lorsqu’il s’agit de services « détenus par l’État » ou « financés par l’État » provenant de pays dont le comportement à l’égard de la liberté de parole et de la démocratie en général diffère radicalement du nôtre. Nous ne devons pas ignorer que des radiodiffuseurs sont financés par des chefs d’État qui professent des opinions très fortes sur des enjeux internationaux très controversés. Ces groupes de radiodiffusion peuvent avoir des opinions extrêmes et, par là-même, être enclins à manifester un intérêt de pure forme lorsqu’il s’agit d’honnêteté éditoriale ou de représentation de groupes ethniques en choisissant de n’appliquer ces principes que lorsqu’ils s’y sentent obligés au lieu d’en faire un règle de base. Une telle attitude devrait faire en sorte que le système canadien de radiodiffusion jette un anathème sur ces services, quelle que soit leur langue. Excluant toute considération de propriété comme critère d’entrée des services étrangers, la politique d’entrée libre énoncée dans l’avis public de radiodiffusion 2008-100 prévoit peu de balises ou de « filtres » et protège donc mal contre de tels éléments.
  Je crois que le traitement de la demande pour ce service de nouvelles de langue anglaise aurait dû s’inscrire dans le contexte d’un nouvel examen des conditions imposées au service de langue arabe. L’organisme de réglementation du Canada pourrait réévaluer le dossier d’Al Jazira dans la perspective d’un réseau « complet » depuis 2004. Tout abus du réseau de langue arabe devrait être considéré comme une tache au dossier du service de langue anglaise, et vice-versa. Une fois encore, la question des « propos offensants » est suffisamment importante pour justifier une exception à la façon dont les demandes de nouveaux services étrangers sont examinées avant d’être approuvées au Canada.
  Si, après un examen plus poussé des services de langues arable et anglaise, le CRTC devait conclure qu’un seul de ces deux services respecte les normes associées à de telles questions, alors les deux services devraient être refusés par principe. Une telle décision peut n’avoir qu’une faible incidence sur les politiques éditoriales d’un service étranger, mais le message n’en serait pas moins clair pour autant. D’un autre côté, si le Conseil estime que le service de langue arabe a « fait le ménage » depuis la décision de 2004, alors peut-être que les deux services pourraient être approuvés sans problème.
  En réalité, cette décision revient à dire que le service de langue anglaise est digne de confiance alors que le service de langue arabe ne peut être diffusé que sous la surveillance constante du distributeur qui doit s’assurer, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, que celui-ci ne véhicule pas de propos offensants. Pour certains, cette façon de traiter différemment les deux services pourrait être considérée comme de la discrimination pour des motifs linguistiques.
  En résumé, je voudrais faire valoir aux yeux de mes collègues du Conseil que le Canada, grâce à l’application judicieuse de ses politiques de réglementation internes, a une responsabilité qui déborde de ses propres frontières. Il a la possibilité d’être une conscience mondiale lorsqu’il s’agit de liberté de parole et de représentation équitable de tous les groupes et de toutes les personnes.
  Bien que cette décision soit tout à fait conforme au régime de réglementation qui nous gouverne, elle échoue à la question élargie de l’adoption d’une position éthique à l’égard de questions sur lesquelles nous pouvons et nous devons jouer un rôle de leader. Jusqu’à présent, notre approche avait tendance à être totalement coupée du monde extérieur sur le plan de la réglementation – ce qui peut se comprendre. Mais compte tenu de la réduction du monde étant donné les progrès de la technologie numérique par satellite et la couverture complète de nouvelles en direct, nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de traiter toutes nos décisions sans tenir compte de ce qui nous entoure, et surtout de la dynamique internationale volatile actuelle dont le Canada fait intrinsèquement partie.
 

Notes de bas de page

1 HRC a joint copie d’une lettre de l’ombudsman adressée à HRC en réponse à sa plainte concernant le reportage d’AJE.

2 Voir l’avis public de radiodiffusion 2004-51.

3 Il est bien entendu possible de satisfaire à l’exigence d’équilibre via une émission ou un reportage individuel qui se veut équilibré.

4 Avis public de radiodiffusion 2004-51, paragraphe 62.

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