Décision de télécom CRTC 2007-101

Ottawa, le 26 octobre 2007

Société TELUS Communications - Questions de réglementation concernant la fourniture de fibres noires intercirconscriptions

Référence : 8662-T66-200515398, 8640-T66-200606931 et 8638-C12-200715120

Dans la présente décision, le Conseil approuve la demande sollicitant son abstention en ce qui concerne la réglementation des fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de desserte de la Société TELUS Communications (la STC) en Alberta et en Colombie-Britannique, demande présentée par la STC. Cette décision fait suite aux conclusions du Conseil voulant que, contrairement aux arguments présentés par la STC, les fibres noires constituent un service de télécommunication au sens de la Loi sur les télécommunications et que la fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC doit faire l'objet d'une approbation tarifaire si elle ne fait pas l'objet d'une abstention.

À la suite de sa conclusion sur l'abstention concernant la STC, le Conseil amorce une instance afin de savoir s'il doit s'abstenir de réglementer la fourniture des fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de desserte de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite, de Bell Canada, de MTS Allstream Inc., de Saskatchewan Telecommunications, de la STC (au Québec) et de Télébec, Société en commandite.

En attendant l'issue de l'instance susmentionnée, le Conseil suspend sa directive imposant à la STC d'appliquer le tarif général actuel relatif aux fibres noires intercirconscriptions dans le cas des deux ententes conclues avec Vidéotron Télécom ltée, lesquelles ont fait l'objet de l'ordonnance de télécom 2005-387.

Introduction

1. Le Conseil a reçu une demande présentée le 19 décembre 2005 par la Société TELUS Communications (la STC) et modifiée le 23 janvier 20061 en vue de faire réviser et modifier, entre autres, la partie de la décision de télécom 2005-63 exigeant qu'elle dépose un tarif général pour la fourniture de fibres noires2 intercirconscriptions. La STC a fait valoir que le Conseil n'avait pas l'autorité légale de réglementer les fibres noires mais que, si le Conseil en concluait autrement, il devrait modifier la décision de télécom 2005-63 afin de lever l'obligation exigeant que la STC dépose un tarif général pour la fourniture des fibres noires intercirconscriptions dans ses territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique.

2. La STC a également demandé au Conseil de réviser et de modifier ses directives énoncées dans l'ordonnance de télécom 2005-387 et voulant que la STC applique ses taux tarifés approuvés aux installations de fibre qu'elle fournit à Vidéotron Télécom ltée (Vidéotron)3. La STC a fait observer que, dans l'ordonnance de télécom 2005-387, le Conseil avait rejeté deux demandes présentées par TELUS Communications (Québec) Inc. en vue de faire approuver, conformément à l'article 29 de la Loi sur les télécommunications (la Loi), des ententes conclues avec Vidéotron concernant un échange de fibres et la location à long terme d'installations de fibres noires intracirconscriptions et intercirconscriptions. La STC a indiqué qu'aux yeux du Conseil, ces ententes n'étaient pas visées par l'article 29 de la Loi puisqu'elles portaient sur la fourniture d'un service de télécommunication qui, en vertu de l'article 25 de la Loi, devait faire l'objet d'un tarif approuvé. La STC a ajouté que le Conseil avait donc ordonné à la compagnie d'appliquer les taux approuvés de son tarif général dans le cas des fibres noires qu'elle fournissait à Vidéotron.

3. Par la suite, le Conseil a reçu une demande datée du 1er juin 2006, présentée par la STC, en vue d'obtenir, conformément à l'article 34 de la Loi, une abstention de la réglementation à l'égard des fibres noires intercirconscriptions que fournit la STC dans ses territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique. La compagnie a précisé avoir déposé cette demande d'abstention sous réserve de sa demande initiale du 19 décembre 2005, modifiée le 23 janvier 2006, dans laquelle elle soutenait que le Conseil n'avait pas compétence pour réglementer les fibres noires.

L'instance

4. Dans une lettre datée du 20 juin 2006, le Conseil a informé les parties que ce serait au cours de l'instance amorcée par la demande que la STC avait présentée le 19 décembre 2005, puis modifiée le 23 janvier 2006, qu'il traiterait la demande d'abstention présentée par la compagnie et datée du 1er juin 2006.

5. Le Conseil a reçu des observations de la part d'Aliant Telecom Inc. (faisant maintenant partie de Bell Aliant Communications régionales, société en commandite) [Bell Aliant]4, deBell Canada, de Columbia Mountain Open Network (CMON), d'enTel Communications Inc. (enTel), de MTS Allstream Inc. (MTS Allstream), de Rogers Communications Inc. (RCI), de Saskatchewan Telecommunications (SaskTel) et de Xit télécom inc., en son propre nom et pour le compte de Télécommunications Xittel inc. (Xit télécom). Le Conseil a fermé le dossier à la suite de la réception des observations en réplique de la STC, datées du 21 juillet 2006. Le dossier public de l'instance peut être consulté sur le site Web du Conseil à www.crtc.gc.ca, sous l'onglet Instances publiques.

6. Voici les questions sur lesquelles le Conseil se prononcera :

  1. Le Conseil a-t-il compétence en matière de réglementation de la fibre noire et, dans l'affirmative, la fourniture des fibres noires intercirconscriptions par la STC relève-t-elle de la compétence du Conseil?
  2. Le Conseil devrait-il s'abstenir de réglementer les fibres noires intercirconscriptions que la STC fournit dans ses territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique?
  3. Existe-t-il un doute réel quant à la rectitude de la décision de télécom 2005-63 concernant la directive du Conseil exigeant que la STC dépose un tarif général pour la fourniture des fibres noires intercirconscriptions en Alberta et en Colombie-Britannique?
  4. Existe-t-il un doute réel quant à la rectitude de la conclusion du Conseil dans l'ordonnance de télécom 2005-387 enjoignant à la STC d'appliquer les taux approuvés du tarif général dans le cas des fibres noires fournies à Vidéotron?

1. Le Conseil a-t-il compétence en matière de réglementation de la fibre noire et, dans l'affirmative, la fourniture des fibres noires intercirconscriptions par la STC relève-t-elle de la compétence du Conseil?

7. Les positions des parties ainsi que l'analyse et les conclusions du Conseil à ce sujet sont énoncées à l'annexe de la présente décision. En bref, le Conseil conclut que, contrairement aux arguments de la STC :

2. Le Conseil devrait-il s'abstenir de réglementer les fibres noires intercirconscriptions que la STC fournit dans ses territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique?

Demande de la STC

8. Dans sa demande d'abstention du 1er juin 2006, la STC a soutenu que la réglementation des fibres noires intercirconscriptions non seulement ne satisfaisait pas aux exigences des utilisateurs de ces fibres, mais allait à l'encontre de leurs intérêts. La compagnie était également d'avis que l'abstention n'empêcherait pas la création ou le maintien d'un marché concurrentiel. Dans cette optique, la STC a soutenu que la réglementation des fibres noires intercirconscriptions nuisait à la concurrence, qu'elle empêchait la création d'un marché concurrentiel et qu'elle était incompatible avec les objectifs de la politique canadienne des télécommunications. La STC était donc d'avis que l'abstention de la réglementation des fibres noires intercirconscriptions était justifiée en vertu du paragraphe 34(1) ou 34(2) de la Loi.

9. La STC a fait valoir qu'elle ne fournissait pas régulièrement de fibres noires intercirconscriptions et qu'elle n'exerçait donc pas une emprise importante sur le marché dans son territoire de desserte titulaire en Alberta et en Colombie-Britannique. La STC a également fait valoir qu'elle se contentait d'acheter des fibres noires intercirconscriptions d'autres fournisseurs et a déclaré qu'au cours des cinq dernières années, elle n'avait fourni des fibres noires intercirconscriptions qu'une seule fois, à Axia SuperNet Ltd (Axia). Dans un autre cas, la STC avait offert d'échanger avec enTel, une autre compagnie de télécommunication, des fibres noires intercirconscriptions contre de nouvelles installations de fibre, mais elle a fait remarquer que ce projet ne s'était pas encore concrétisé. La STC a fait valoir, en outre, qu'elle n'avait aucun intérêt économique à devenir un fournisseur régulier de fibres noires intercirconscriptions, qu'elle construisait plutôt des installations de transmission pour la fourniture de services complets de télécommunication à ses clients et qu'elle n'avait pas l'habitude de construire un nombre d'installations de fibre qui ne correspond pas à ses exigences actuelles.

10. La STC a soutenu qu'un tarif général ne peut pas tenir compte de la nature des coûts intrinsèquement liés à la route qui s'appliquent aux ententes sur les fibres noires intercirconscriptions et, de ce fait, l'empêcheraient de soutenir une concurrence efficace pour les clients parce que le taux applicable serait soit trop bas soit trop élevé. De plus, la STC a fait valoir que l'application d'un taux du tarif général dans le cas des fibres noires intercirconscriptions ne serait pas conforme à l'objectif de la politique de télécommunication énoncé à l'alinéa 7f) de la Loi, car elle ne favoriserait pas un recours accru au libre jeu du marché et ne constituerait pas une réglementation efficace du fait que la STC, de façon générale, ne fournit pas ou n'est pas en mesure de fournir des fibres noires intercirconscriptions. Par contre, la STC a soutenu que l'abstention de la réglementation des fibres noires intercirconscriptions serait conforme à l'alinéa 7f) de la Loi.

Positions des parties

11. Bell Canada a appuyé la demande d'abstention de la STC et a fait valoir que le Conseil devrait étendre cette abstention aux fibres noires intercirconscriptions que Bell Canada fournit dans ses territoires titulaires en Ontario et au Québec. Bell Canada a soutenu que, tout comme la STC, elle n'exerçait pas une grande emprise sur le marché dans le secteur de la fourniture de fibres noires et que son territoire titulaire comptait de nombreux fournisseurs de services de fibres noires intercirconscriptions. Bell Canada a demandé que le Conseil amorce une instance pour permettre aux parties de justifier pourquoi un redressement qui serait accordé à la STC ne devrait pas également s'appliquer à Bell Canada.

12. CMON a fait valoir que, si l'abstention était accordée à la STC, la compagnie pourrait alors choisir à tout moment de fournir des fibres noires intercirconscriptions en Alberta et en Colombie-Britannique, même gratuitement, ce qui entraînerait dans le marché des distorsions plus importantes que si la STC se voyait obligée de déposer un tarif général pour la fourniture de fibres noires intercirconscriptions dans le même territoire.

13. MTS Allstream a fait valoir que la STC n'avait pas réussi à prouver l'intérêt d'une abstention en vertu de l'article 34 de la Loi. Plus précisément, MTS Allstream a fait valoir que la STC exerçait effectivement une solide emprise sur le marché dans le secteur des fibres noires et qu'il existait un risque considérable de discrimination injuste de la part de la STC dans la fourniture de ces services aux clients de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.

Résultats de l'analyse du Conseil

14. Le pouvoir que détient le Conseil en matière d'abstention découle de l'article 34 de la Loi, qui se lit comme suit :

34.  (1) Le Conseil peut s'abstenir d'exercer - en tout ou en partie et aux conditions qu'il fixe - les pouvoirs et fonctions que lui confèrent normalement les articles 24, 25, 27, 29 et 31 à l'égard des services - ou catégories de services - de télécommunication fournis par les entreprises canadiennes dans les cas où il conclut, comme question de fait, que son abstention serait compatible avec la mise en oeuvre de la politique canadienne de télécommunication.

(2) S'il conclut, comme question de fait, que le cadre de la fourniture par les entreprises canadiennes des services - ou catégories de services - de télécommunication est suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des usagers - ou le sera - , le Conseil doit s'abstenir, dans la mesure qu'il estime indiquée et aux conditions qu'il fixe, d'exercer les pouvoirs et fonctions que lui confèrent normalement les articles 24, 25, 27, 29 et 31 à l'égard des services ou catégories de services en question.

(3) Le Conseil ne peut toutefois s'abstenir, conformément au présent article, d'exercer ses pouvoirs et fonctions à l'égard des services ou catégories de services en question s'il conclut, comme question de fait, que cela aurait vraisemblablement pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d'un marché concurrentiel pour leur fourniture.

15. Le Conseil fait remarquer que, selon la STC, l'abstention se justifie en vertu des paragraphes 34(1) ou 34(2) de la Loi. En ce qui concerne la demande aux termes du paragraphe 34(1) de la Loi, le Conseil fait remarquer que la question est de savoir si l'abstention serait conforme aux objectifs énoncés à l'article 7 de la Loi.

16. Le Conseil fait remarquer que la STC n'a fourni qu'une seule fois un service de fibres noires intercirconscriptions dans ses territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique, et seulement dans des conditions bien précises, soit dans le cadre du programme Axia SuperNet du gouvernement provincial de l'Alberta. De plus, comme il a déjà été indiqué, la STC a proposé une entente d'échange de fibres avec enTel, entente qui s'applique également à un contexte bien particulier, puisqu'elle a notamment pour objectif la fourniture de services à large bande dans une région éloignée de la Colombie-Britannique.

17. Le Conseil convient avec la STC que la fourniture de fibres noires intercirconscriptions traduit des circonstances particulières, puisque chaque entente reflète des caractéristiques différentes qui sont attribuables à la topographie, à la disponibilité des installations existantes de fibres noires intercirconscriptions et des structures de soutènement, à des conditions économiques et commerciales différentes et aux coûts de construction applicables.

18. Le Conseil accepte l'argument de la STC selon lequel la compagnie n'est pas un habituel fournisseur de fibres noires intercirconscriptions et n'a aucun intérêt économique à le faire, puisqu'elle souhaite se concentrer sur ses activités de plus grande valeur comme la télédiffusion et les services Internet évolués. Le Conseil accepte également l'argument de la STC selon lequel elle ne possède pas ou peu de fibres noires intercirconscriptions excédentaires et que rares seraient les cas où elle oserait fournir des fibres noires intercirconscriptions puisque le contexte économique l'incite à utiliser la fibre pour fournir des services de plus grande valeur.

19. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que, conformément au paragraphe 34(1) de la Loi, l'abstention de la réglementation des fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique de la STC serait conforme aux objectifs stratégiques suivants qui sont liés à la politique canadienne de télécommunication et énoncés dans la Loi :

20. Le Conseil est convaincu que, dans les circonstances de ce cas, pour ce qui est du paragraphe 34(3) de la Loi, l'abstention n'aurait vraisemblablement pas pour effet de compromettre indûment la création ou le maintien d'un marché concurrentiel pour la fourniture des fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de desserte en Alberta et en Colombie-Britannique de la STC.

21. Par conséquent, le Conseil déclare que les articles 24, 25, 29 et 31 et les paragraphes 27(1), 27(2), 27(5) et 27(6) de la Loi ne s'appliquent pas à la fourniture de fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de desserte de la STC en Alberta et en Colombie-Britannique.

22. Compte tenu de la conclusion énoncée ci-dessus, il est inutile de se pencher sur la question de l'abstention aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi.

Instance de suivi

23. En conséquence de ce qui précède, le Conseil amorce une instance invitant les parties à justifier pourquoi il ne devrait pas, dans le cas de Bell Aliant, de Bell Canada, de MTS Allstream, de SaskTel, de la STC (au Québec) et de Télébec, Société en commandite, s'abstenir de réglementer les fibres noires intercirconscriptions suivant la même mesure que dans la présente décision.

24. Les parties doivent déposer leurs observations auprès duConseil et en signifier copies aux autres parties à l'instance qui a conduit à la décision de télécom 2005-63, au plus tard le 26 novembre 2007.

25. Les parties doivent déposer leurs observations en réplique auprès du Conseil et en signifier copies aux parties qui ont déposé des observations, au plus tard le 11 décembre 2007.

26. Lorsqu'un document doit être déposé ou signifié à une date précise, il doit effectivement être reçu, non pas simplement envoyé, à cette date.

3. Existe-t-il un doute réel quant à la rectitude de la décision de télécom 2005-63 concernant la directive du Conseil exigeant que la STC dépose un tarif général pour la fourniture des fibres noires intercirconscriptions en Alberta et en Colombie-Britannique?

27. Compte tenu de la conclusion du Conseil de s'abstenir de réglementer les fibres noires intercirconscriptions dans les territoires de dessertes de la STC en Alberta et en Colombie-Britannique, il est inutile de traiter de cette question.

4. Existe-t-il un doute réel quant à la rectitude de la conclusion du Conseil dans l'ordonnance de télécom 2005-387 enjoignant à la STC d'appliquer les taux approuvés du tarif général dans le cas des fibres noires fournies à Vidéotron?

Positions des parties

28. La STC a fait valoir qu'il existait un doute réel quant à la rectitude de l'ordonnance 2005-387 concernant la directive du Conseil exigeant que la STC applique les articles 2.07 et 3.09 de son tarif général aux ententes qu'elle a conclues avec Vidéotron. La STC a également fait valoir que, contrairement à ce qu'a déclaré le Conseil dans l'ordonnance de télécom 2005-387, un des services fournis à Vidéotron était une vente de fibres noires, et non une location, et que les articles 2.07 et 3.09 de son tarif général ont été conçus et tarifés pour des périodes de un an, de trois ans et de cinq ans et qu'ils ne conviennent pas pour les cas de vente ou d'échange de fibres noires.

29. Xit télécom a fait valoir que la STC disposait déjà d'un tarif général pour la fourniture de fibres noires intercirconscriptions dans son territoire de desserte au Québec et que la STC devrait se conformer à la directive énoncée dans l'ordonnance de télécom 2005-387.

Résultats de l'analyse du Conseil

30. Dans l'ordonnance de télécom 2005-387, le Conseil a conclu que les ententes de la STC relatives aux fibres noires n'étaient pas visées par l'article 29 de la Loi parce qu'elles portaient essentiellement sur la fourniture d'un service de télécommunication, à savoir les fibres noires, et non essentiellement sur des questions visées par l'article 29 de la Loi. Le Conseil était donc d'avis qu'au lieu de se prononcer sur les demandes conformément à l'article 29 de la Loi, il devait enjoindre à la STC d'appliquer les taux tarifés approuvés dans le cas des installations de fibre qu'elle fournissait à Vidéotron, conformément à l'article 25 de la Loi. Ainsi, le Conseil avait ordonné àla STC d'appliquer à la fourniture de fibres optiques à Vidéotron, dans les 60 jours suivant cette ordonnance, les taux et les modalités approuvés conformément aux articles 2.07 et 3.09 de son tarif général.

31. Le Conseil ne convient pas avec la STC que l'entente décrite comme une location dans l'ordonnance de télécom 2005-387 est en fait une vente. Quoi qu'il en soit, le Conseil estime que le fait que l'entente en question entre Vidéotron et la STC soit une vente ou une location ne permet aucunement de déterminer s'il existe un doute réel quant à la rectitude de l'ordonnance 2005-387. Le Conseil fait remarquer, en outre, que la STC n'a pas soutenu qu'il existait un doute réel quant à la rectitude de l'ordonnance de télécom 2005-387 pour cette raison.

32. Le Conseil fait observer que les deux ententes conclues avec Vidéotron concernent des fibres noires intracirconscriptions et intercirconscriptions et que les deux ententes sont établies pour des périodes initiales de 20 ans. Or, le tarif général de la STC ne prévoit pas un taux sur 20 ans.

33. Étant donné que le tarif général applicable au territoire de la STC au Québec ne vise pas précisément les ententes de 20 ans, le Conseil est convaincu de l'existence d'un doute réel quant à la rectitude de sa directive énoncée dans l'ordonnance de télécom 2005-387, à savoir que la STC soit tenue, dans le cas des ententes visées par cette ordonnance, d'appliquer aux ententes le taux approuvé de son tarif général en ce qui concerne les fibres noires intercirconscriptions. De plus et à la lumière de sa décision d'amorcer une instance pour savoir s'il doit s'abstenir de réglementer les fibres noires intercirconscriptions dans le territoire de desserte de la STC au Québec, le Conseil suspend, en attendant l'issue de cette instance, la directive formulée dans l'ordonnance de télécom 2005-387, laquelle exige l'application des taux approuvés du tarif général aux deux ententes avec Vidéotron. Si l'instance mène à la conclusion que les fibres noires intercirconscriptions ne doivent pas faire l'objet d'une abstention de réglementation dans le territoire d'exploitation de la STC au Québec, la STC aura la possibilité de soumettre à l'approbation du Conseil des taux du tarif général sur 20 ans, taux que la compagnie sera tenue d'appliquer dans le contexte des deux ententes conclues avec Vidéotron.

Secrétaire général

Documents connexes

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Notes de bas de page

[1] La STC a fait valoir que, du fait que ses demandes des 19 décembre 2005 et 23 janvier 2006 portaient sur des questions communes, les deux demandes devraient être traitées ensemble. Dans une lettre datée du 3 février 2006, le Conseil a informé les parties qu'il traiterait les deux demandes dans le cadre de la même instance.

[2] L'expression « fibre noire (ou inutilisée) » est définie comme suit dans la Computer Desktop Encyclopedia : [Traduction] « fibre optique acheminée dans une certaine région géographique et vendue à des télécommunicateurs et à de grandes entreprises sans signalisation optique ni électronique sur le trajet. L'abonné doit ajouter le système de transmission à chaque extrémité. » Par comparaison, la « fibre blanche ou en service » est porteuse de signal et la Computer Desktop Encyclopedia en donne la définition suivante : [Traduction] « fibre optique utilisée régulièrement pour transmettre des données ». Dans la présente décision, les expressions « fibre optique » et « fibre noire » s'équivalent.

[3] Vidéotron ltée et Vidéotron Télécom ltée ont fusionné le 1er janvier 2006. L'entité fusionnée continue d'exercer ses activités sous le nom de Vidéotron ltée, filiale à part entière de Quebecor Média Inc.

[4] Le 7 juillet 2006, les activités régionales de télécommunication filaire de Bell Canada en Ontario et au Québec ont été regroupées avec, entres autres, les activités de télécommunication filaire d'Aliant Telecom Inc., de la Société en commandite Télébec, (maintenant appelée Télébec, Société en commandite) et de NorthernTel, Limited Partnership, en vue de créer Bell Aliant Communications régionales, société en commandite.

Annexe

1. Le Conseil a-t-il compétence en matière de réglementation de la fibre noire et, dans l'affirmative, la fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC relève-t-elle de la compétence du Conseil?

A1. La STC a soutenu que le Conseil n'a pas compétence pour réglementer la fourniture de fibres noires pour les raisons suivantes :

  1. La fibre noire n'est pas un « service de télécommunication » au sens de la Loi;
  2. La fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC ne relève pas de la compétence du Conseil.

i) La fibre noire est-elle un « service de télécommunication »?

Positions des parties
La STC

A2. La STC a soutenu que la fibre noire n'est pas un « service de télécommunication » au sens de la Loi, car elle ne correspond pas à la définition d'une « installation de télécommunication » énoncée dans la Loi, ni à la définition statutaire d'une « installation de transmission ».

A3. La STC a fait remarquer que les définitions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

« service de télécommunication » signifie :

un service fourni au moyen d'installations de télécommunication, y compris la fourniture - notamment par vente ou location - , même partielle, de celles-ci ou de matériel connexe;

« installation de télécommunication » signifie :

une installation, des appareils ou toute autre chose servant ou pouvant servir à la télécommunication ou à toute opération qui y est directement liée, y compris les installations de transmission;

« installation de transmission » signifie :

tout système électromagnétique - notamment fil, câble ou système radio ou optique - ou tout autre procédé technique pour la transmission d'information entre des points d'arrivée du réseau, à l'exception des appareils de transmission exclus.

A4. La STC a fait valoir que la fibre noire est une fibre optique inactive et que, tant qu'un appareil optoélectronique n'est pas réalisé, installé et mis sous tension, elle ne sert pas et ne peut servir à la télécommunication. Se fondant sur la définition du verbe « [Traduction] pouvoir » que donne le dictionnaire : 'avoir la possibilité de, être capable, en mesure de', la STC a soutenu qu'au moment de la vente, la fibre noire 'ne servait pas plus' ou 'ne pouvait pas plus servir' à la télécommunication que la fibre se trouvant dans l'entrepôt d'un fabricant d'équipement, dans le camion d'une compagnie de construction ou dans une tranchée. La STC a indiqué que, jusqu'à présent, le Conseil n'avait pas affirmé sa compétence à l'endroit des entreprises qui possèdent et qui mettent en vente des fibres noires, mais que ce serait le cas s'il s'attribuait la compétence en matière d'utilisation de fibres noires.

A5. En outre, la STC a avancé que la fibre noire ne pouvait être raisonnablement considérée comme une « installation de transmission » puisqu'il ne peut y avoir de « points d'arrivée du réseau » dans le cas de la fibre noire, la fibre ne faisant pas encore partie d'un réseau. La compagnie a ajouté que les points d'arrivée du réseau ne pouvaient exister qu'après le raccordement aux extrémités de la fibre et la mise en marche d'un appareil de transmission optoélectronique.

A6. Par conséquent, la STC a soutenu que la fibre noire n'est pas un « service de télécommunication » tel qu'il est défini dans la Loi.

enTel

A7. La compagnie enTel a soutenu que la question de savoir si la fourniture de fibres noires aux utilisateurs finals constituait ou non la fourniture d'un « service de télécommunication » reposait sur une autre question, à savoir si l'entreprise qui vend la fibre noire a des activités commerciales dans la vente de fibres noires. Si l'entreprise en question fait d'une telle vente une partie de sa gamme de services commerciaux, enTel était d'avis que cette vente constitue vraisemblablement un service de télécommunication.

MTS Allstream

A8. MTS Allstream a fait valoir que l'interprétation de la STC de l'expression « installation de télécommunication » allait à l'encontre de la signification courante des mots utilisés dans les définitions de « service de télécommunication » et d'« installation de télécommunication » énoncés dans la Loi et qu'elle ne tenait pas compte du but de la construction d'une artère de fibres noires. MTS Allstream a soutenu que la fibre noire, y compris celle qu'installe la STC ou toute autre entreprise est une « installation de télécommunication », car la seule et unique destination de cette fibre noire est la télécommunication. Bien que, par définition, la fibre noire ne porte aucun signal et qu'elle ne soit pas en service, MTS Allstream a soutenu qu'elle 'peut servir' à la télécommunication. MTS Allstream a en outre ajouté que ce n'est que parce que la fibre noire 'peut servir à la télécommunication' qu'une entreprise telle que la STC pouvait la vendre ou en échanger ses surplus avec d'autres entreprises ou avec des utilisateurs finals qui avaient besoin d'installations de télécommunication supplémentaires pour fournir leurs services de télécommunication.

A9. Suivant l'allégation de MTS Allstream, les fibres noires fournies par la STC et par d'autres entreprises sont intimement intégrées aux fibres noires utilisées par l'entreprise elle-même et ne peuvent être comparées aux fibres optiques entreposées dans les locaux d'un fabricant d'équipement, comme l'a suggéré la STC. Les fibres noires fournies par la STC étaient plutôt renfermées dans un câble optique simple, composé de nombreuses fibres optiques regroupées, dont certaines sont des fibres blanches (en service) directement utilisées par la STC tandis que d'autres, des fibres noires excédentaires dont la STC n'avait pas besoin, étaient vendues à d'autres concurrents. MTS Allstream était d'avis qu'il est impossible de dissocier les fibres utilisées par la STC des fibres noires ou des fibres utilisées par une autre entreprise. C'est pour cette raison, a soutenu MTS Allstream, que la STC conservait la responsabilité de l'entretien de ses câbles optiques et de tout problème d'accès ou de servitude pouvant y être associé.

RCI

A10. RCI a allégué que la STC attribuait la même signification aux termes 'pouvant servir' et 'servant'. RCI a soutenu que la fibre noire pouvait servir à la télécommunication parce que tout ce qu'il faut pour transformer cette possibilité en utilisation réelle est le raccordement d'équipement optoélectronique aux deux extrémités de la fibre. Prétendre autre chose conduirait, de l'avis de RCI, à des conclusions absurdes, par exemple que le Conseil n'aurait pas compétence pour réglementer les lignes métalliques qui ne seraient pas raccordées à l'équipement de locaux d'abonné sous prétexte que, sans ce raccordement, la ligne ne serait qu'une paire de fils inutiles.

Réponse de la STC

A11. La STC a soutenu que les interprétations de MTS Allstream et de RCI entraîneraient l'assujettissement de toutes les ventes de biens imaginables à la compétence du Conseil.

Résultats de l'analyse

A12. Le Conseil prend note de l'affirmation de la STC suivant laquelle la fibre noire n'est pas une « installation de télécommunication » au sens de la Loi parce qu'elle ne peut pas servir à la télécommunication tant qu'un appareil optoélectronique n'est pas réalisé, installé et mis en marche.

A13. De l'avis du Conseil, l'interprétation que fait la STC du mot 'pouvant' dans le contexte de la définition de l'expression « installation de télécommunication » figurant dans la Loi est indûment restrictive et pourrait effectivement enlever toute signification au mot dans le contexte de cette définition.

A14. Le Conseil estime que l'interprétation proposée par la STC sous-entend que le mot 'pouvant' signifie 'pouvant immédiatement' par opposition à une possibilité concrétisée par une adaptation, tel le raccordement de matériel optoélectronique aux deux extrémités de l'installation.

A15. Le Conseil fait remarquer que la Cour suprême du Canada (CSC) s'est penchée sur l'interprétation du mot 'pouvant' dans l'affaire R. c. Hasselwander [1993] 2 R.C.S. 398 (Hasselwander), qui portait sur l'ordonnance de confiscation d'une mitraillette par un juge de la Cour provinciale qui avait statué qu'étant donné que l'arme semi-automatique pouvait être facilement transformée en arme entièrement automatique, il s'agissait d'une arme prohibée en vertu du Code criminel.

A16. Dans un jugement rendu à la majorité, la Cour d'appel de l'Ontario avait annulé l'ordonnance de confiscation, concluant que le mot 'pouvant' signifiait 'pouvant dans son état actuel' plutôt que de renvoyer à une possibilité qui pourrait se réaliser par adaptation de l'arme.

A17. Le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario a été renversé à la majorité par la CSC. Se fondant sur les définitions des dictionnaires, la Cour a conclu que le sens du mot 'pouvant' comprend une possibilité de transformation et ne doit pas être restreint à une capacité immédiate ou dans l'état courant. De l'avis de la Cour, une telle restriction de sens irait à l'encontre de l'intention du Parlement de protéger le public contre ce type d'armes.

A18. La CSC a cependant fait remarquer qu'il fallait apporter une restriction raisonnable à cet aspect de possibilité. Dans le cas des faits qui ont été portés à son attention, la Cour a maintenu que 'pouvant' signifiait 'pouvant être transformé en une arme automatique dans un laps de temps assez court avec assez de facilité'. Dans le cas cité ci-dessus, la Cour a conclu que l'arme en cause répondait à ce critère.

A19. De l'avis du Conseil, le raisonnement de la Cour dans l'affaire Hasselwander s'applique à la question de savoir si la fibre noire 'peut' servir à la télécommunication dans le sens de la définition de l'expression « installation de télécommunication » dans la Loi. Comme l'a affirmé la Cour et contrairement aux allégations de la STC dans cette instance, la signification courante du verbe « pouvoir » comprend l'aspect de la possibilité de transformation. De plus, le Conseil estime que la restriction soulevée par la Cour dans l'affaire Hasselwander à l'égard de la portée de la possibilité s'applique dans le cas de la fibre noire, compte tenu de la facilité relative de la transformation de la fibre noire en fibre blanche par le raccordement de matériel optoélectronique à chaque extrémité de l'installation. Le Conseil estime en outre, en accord avec l'avis de la Cour suivant lequel l'interprétation stricte du mot 'pouvant' serait incompatible avec les buts et objectifs du Code criminel en matière d'armes prohibées, que l'acception stricte préconisée par la STC dans cette instance serait incompatible avec les objectifs de la Loi, car elle aurait pour effet de soustraire à la Loi non seulement la fibre noire, mais aussi, potentiellement, un vaste éventail de composants importants de réseaux téléphoniques tels que les lignes métalliques et le câblage d'immeuble.

A20. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que la fibre noire est une installation pouvant servir à la télécommunication. De même, il estime que la fibre noire peut servir à « toute opération directement liée à la télécommunication ». Le Conseil conclut donc que la fibre noire est une « installation de télécommunication » au sens de la Loi et que la fourniture de fibres noires constitue donc la fourniture d'un « service de télécommunication » au sens de la Loi. Par conséquent, le Conseil conclut qu'il a l'autorité juridique nécessaire pour réglementer la fibre noire.

A21. À la lumière des constatations précédentes, le Conseil estime qu'il n'est pas nécessaire de statuer sur le fait que la fibre noire constitue ou non une « installation de transmission » au sens de la Loi.

ii) La fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC relève-t-elle de la compétence du Conseil?

Positions des parties
La STC

A22. La STC a fait valoir que, même si l'on pouvait considérer la fourniture des fibres noires comme un « service de télécommunication », ce qui donnerait au Conseil le droit d'ordonner à la STC de déposer des tarifs pour les fibres noires, il faudrait d'abord montrer que, lorsqu'elle fournissait des fibres noires, la STC agissait à titre d'« entreprise de télécommunication » au sens de la Loi. La STC a fait remarquer que la Loi définit une « entreprise de télécommunication » comme suit :

Propriétaire ou exploitant d'une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par lui-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie.

A23. La STC a soutenu que, si les fibres noires n'étaient pas fournies « au public », la compagnie n'agissait pas à titre d'entreprise de télécommunication et que, contrairement à la directive du Conseil donnée dans la décision de télécom 2005-63, elle n'avait pas à déposer de tarif général pour les fibres noires intercirconscriptions.

A24. La STC a fait remarquer que, dans la décision de télécom 97-7, le Conseil avait rejeté l'argument qu'elle avait présenté, argument selon lequel, lorsque des fibres intracirconscriptions sont fournies uniquement à la demande d'un client, cela ne constitue pas un service « au public ».

A25. La STC a également soutenu que le Conseil n'avait pas tenu compte de la jurisprudence pertinente, y compris la décision de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'affaire Ajax Alberta Pipeline Limited c. Canadian Chemical Company Limited (1954), 14 W.W.R 193 (Alta. S.C.A.D.) [Ajax]. La Cour a, en effet, confirmé qu'un seul client recevant des services sur un oléoduc ne constituait pas des membres du « public » en application des dispositions législatives sur les services publics.

A26. La STC a également invoqué la conclusion de la CSC dans l'affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 (CCH Canadienne Limitée), selon laquelle les transmissions par télécopieur des décisions judiciaires du Barreau du Haut-Canada (le Barreau) à une seule personne ne constituent pas une communication au public.

A27. La STC a fait remarquer que, dans la décision de télécom 2005-63, le Conseil a invoqué le fait que la STC avait fournit à Axia, dans le cadre de la construction du projet Alberta SuperNet, des fibres noires intercirconscriptions aux termes d'un tarif de montages spéciaux ainsi que le projet de vente de fibres de la STC à enTel, dans la vallée du Nass en Colombie-Britannique, pour montrer que la STC offrait des fibres noires intercirconscriptions au public. La compagnie a soutenu qu'il s'agissait de deux projets distincts et sans lien, négociés dans des circonstances particulières, qui ne constituent pas une preuve de l'offre d'un service « au public » au sens de la Loi.

enTel

A28. La compagnie enTel a soutenu que le dépôt de tarifs s'applique à la fourniture de services au public et non à l'achat et à la vente d'installations de transmission sous-jacentes, à moins que l'entreprise en question ne pratique la vente de ces installations de transmission au public. De l'avis d'enTel, le fait qu'une entreprise vende ses intérêts dans des installations de transmission par fibre optique à une autre entreprise n'implique pas des fonctions communes de fourniture de services « au public ». En fait, les ventes ont eu lieu plus tôt dans le processus de production, au moment où les entreprises construisaient leurs réseaux pour pouvoir fournir des services de télécommunication au public.

MTS Allstream

A29. MTS Allstream a fait valoir que la STC avait effectué un certain nombre de transactions pour fournir des fibres noires et avait clairement l'habitude de fournir des fibres noires « au public » chaque fois que la situation lui convenait.

RCI

A30. RCI a fait valoir que l'argument de la STC voulant que la compagnie ne fournissait pas de fibres noires « au public » n'est pas valable, car il est fondé sur l'hypothèse que, pour qu'un service ou une installation soient fournis « au public », le service ou l'installation doivent être utilisés simultanément par une multitude d'utilisateurs. RCI a fait valoir qu'une installation de transmission sert à fournir des services de télécommunication au public s'il existe, pour ces services, une demande que le propriétaire ou exploitant satisfait, et ce, que la demande soit concentrée ou dispersée, aléatoire ou fréquente. RCI a ajouté que, selon la Loi, l'expression « au public » doit être lue et interprétée en opposition à une utilisation « privée » d'une installation de télécommunication par son propriétaire. RCI a soutenu que les installations de fibre noire de la STC n'ont pas été construites exclusivement pour l'usage personnel de la compagnie et qu'elles ne sont pas utilisées exclusivement par un petit groupe fermé. RCI a donc fait valoir qu'il importait peu que la STC n'ait conclu que deux ventes de fibres noires à des tierces parties.

Réplique de la STC

A31. La STC a fait valoir que si l'on accepte l'argument de RCI voulant que le Parlement entende seulement permettre l'utilisation « privée » d'une installation de télécommunication par son propriétaire, l'expression « au public » dans la Loi n'a plus de sens. Selon la compagnie, l'interprétation dans le sens d'un usage « privé » rendrait également superflue l'expression « moyennant contrepartie », étant donné que les compagnies ne se payent pas elles-mêmes.

A32. La STC a fait valoir que le Parlement est censé comprendre l'état du droit lorsqu'il adopte une loi et que l'on peut supposer qu'il n'envisageait pas de changer la loi en vigueur ni s'éloigner des principes, politiques ou pratiques établis. La STC a soutenu que l'affaire Ajax faisait partie de la jurisprudence canadienne au moment de la promulgation de la Loi en 1993. Par conséquent, en utilisant le terme « public » dans le contexte d'une législation sur les services d'intérêt public, la STC a soutenu qu'il était raisonnable de supposer que, pour le Parlement, une seule partie ne constitue pas un membre du « public ».

A33. Concernant l'argument de RCI, la STC a affirmé qu'il était évident que la compagnie n'a fourni des fibres noires à d'autres entreprises que dans de rares cas et de façon ponctuelle. La STC a soutenu que l'on ne peut pas préjuger de ce qu'elle fera à l'avenir pour lui attribuer la définition d'une « entreprise de télécommunication » pour ce qui est de la fourniture de fibres noires. La STC a fait remarquer que la définition légale est exprimée au présent et a fait valoir que rien n'indique dans cette définition qu'une personne susceptible de fournir ultérieurement un service « au public » est assujettie à la réglementation du Conseil en tant qu'« entreprise de télécommunication ».

Résultats de l'analyse du Conseil

A34. Le Conseil fait remarquer que, même si la STC a articulé ses arguments autour de la question de savoir si elle est ou non une « entreprise de télécommunication », les dispositions pertinentes de la Loi s'appliquent aux entreprises canadiennes. La Loi définit ainsi « entreprise canadienne » :

entreprise de télécommunication qui relève de la compétence fédérale.

Comme il a déjà été fait remarquer, une « entreprise de télécommunication » est définie comme suit :

Propriétaire ou exploitant d'une installation de transmission grâce à laquelle sont fournis par lui-même ou une autre personne des services de télécommunication au public moyennant contrepartie.

A35. Le Conseil fait en outre remarquer que, dans la mesure où ils ne font pas l'objet d'une ordonnance d'exemption ou d'abstention conformément à l'article 9 ou l'article 34 de la Loi respectivement, les services fournis par des entreprises canadiennes sont assujettis à une approbation tarifaire en application de l'article 25 de la Loi, qui prévoit que :

L'entreprise canadienne doit fournir les services de télécommunication en conformité avec la tarification déposée auprès du Conseil et approuvée par celui-ci fixant - notamment sous forme de maximum, de minimum ou des deux - les tarifs à imposer ou à percevoir.

A36. De plus, les services fournis par des entreprises canadiennes, dans la mesure où ils ne font pas l'objet d'une ordonnance d'exemption ou d'abstention, doivent se conformer notamment aux paragraphes 27(1) et 27(2) de la Loi , qui se lisent comme suit :

  1. Tous les tarifs doivent être justes et raisonnables.
  2. Il est interdit à l'entreprise canadienne, en ce qui concerne soit la fourniture de services de télécommunication, soit l'imposition ou la perception des tarifs y afférents, d'établir une discrimination injuste, ou d'accorder - y compris envers elle-même - une préférence indue ou déraisonnable, ou encore de faire subir un désavantage de même nature.

A37. Le Conseil estime que le principal argument avancé par la STC est que la compagnie n'agit pas en tant qu'entreprise canadienne en ce qui concerne la fourniture de fibres noires intercirconscriptions et que, par conséquent, les obligations énoncées à l'article 25 et aux paragraphes 27(1) et 27(2) de la Loi ne s'appliquent pas dans ces conditions.

A38. Le Conseil fait remarquer que la STC est une entreprise canadienne au sens de la Loi. Le Conseil juge que la STC lui demande essentiellement d'accepter que la compagnie puisse agir ou non en tant qu'entreprise canadienne et, de ce fait, soit assujettie ou non à la Loi, selon que le service en question est fourni au public.

A39. Le Conseil estime que la position de la STC n'est pas conforme à l'intention du Parlement, telle qu'elle est exprimée dans le texte et le régime législatif de la Loi.

A40. En ce qui concerne le libellé de la Loi, le Conseil fait remarquer que ni l'article 25 ni les paragraphes 27(1) et 27(2) ne renvoient à l'idée de services de télécommunication fournis au public, mais seulement à la fourniture de services de télécommunication.

A41. En ce qui concerne le régime législatif, le Conseil estime qu'à partir du moment où un fournisseur de services s'attribue la définition d'une « entreprise canadienne » au sens de la Loi (ce qui est clairement le cas de la STC), le Parlement veut que le fournisseur de services demeure une entreprise canadienne, même s'il choisit dans certains cas de fournir des services de télécommunication d'une façon qui n'est pas nécessairement visée par la définition d'une « entreprise de télécommunication ».

A42. Le Conseil fait remarquer que la question de savoir si une entreprise canadienne devrait, dans certains cas, être traitée autrement qu'une entreprise canadienne a été soulevée au cours de l'instance qui a abouti à la décision de télécom 2005-28. Dans cette décision, le Conseil a déclaré qu'une entreprise canadienne ne devient pas un revendeur du fait qu'elle peut revendre des services et des fonctionnalités d'autres entreprises pour fournir des services locaux de communication vocale sur protocole Internet. Le Conseil a ajouté que tous les services de télécommunication que fournit une entreprise canadienne sont assujettis aux dispositions de la Loi, y compris à l'obligation de déposer des tarifs s'il n'existe aucune ordonnance d'abstention à l'égard des services en cause.

A43. Le Conseil estime que la cohérence de cette opinion avec le régime législatif de la Loi est renforcée lorsqu'on examine les implications de l'interprétation que la STC voudrait imposer au Conseil.

A44. Le Conseil fait remarquer que la définition d'une « entreprise de télécommunication » prévoit notamment que les services de télécommunication en question soient fournis moyennant contrepartie. Si l'on devait accepter l'interprétation de la STC, un fournisseur de services pourrait se soustraire à l'obligation de fournir des tarifs justes et raisonnables et de ne pas exercer une discrimination injuste simplement en fournissant des services de télécommunication sans contrepartie. Le Conseil fait remarquer que, selon l'interprétation de la STC, si l'entreprise devait ainsi fournir des services à certains clients mais pas à d'autres, le Conseil n'aurait pas l'autorisation légale de traiter de questions comme la discrimination injuste et le caractère juste et raisonnable des tarifs. De l'avis du Conseil, il est impensable que le Parlement ait envisagé une telle possibilité puisqu'elle compromettrait l'obligation statutaire du Conseil de veiller à ce que les entreprises canadiennes imposent des tarifs justes et raisonnables et n'exercent pas de discrimination injuste. De plus, cette interprétation viderait de son sens le paragraphe 27(6) de la Loi, qui se lit comme suit :

Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher l'entreprise canadienne de fournir, gratuitement ou moyennant un tarif réduit, des services de télécommunication soit à ses administrateurs, dirigeants, employés et anciens employés soit, avec l'agrément du Conseil, à des organismes de bienfaisance, à des personnes défavorisées ou à toute personne.

A45. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil désapprouve la position de la STC voulant que le Conseil n'a pas compétence pour réglementer la fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la compagnie dans les cas où ces fibres ne sont pas fournies au public.

A46. De façon subsidiaire, le Conseil estime que, dans les circonstances du cas en cause, la STC a fourni des fibres noires intercirconscriptions au public.

A47. Le Conseil fait remarquer que la STC a invoqué deux décisions judiciaires à l'appui de son interprétation selon laquelle elle ne fournit pas de fibres noires intercirconscriptions au public.

A48. Dans la première décision, qui concerne l'affaire Ajax, la Cour d'appel de l'Alberta a confirmé que l'Alberta Board of Public Utility Commissioners (ABPUC) n'avait pas compétence à l'endroit d'une compagnie d'oléoduc établie pour fournir du gaz naturel à un seul client, une compagnie de produits chimiques.

A49. Dans cette affaire, la compagnie d'oléoduc cherchait à faire reconnaître qu'elle relevait de l'ABPUC en tant qu'entreprise de services publics pour pouvoir demander une hausse des frais de transport du gaz parce qu'un ralentissement d'activités de la compagnie de produits chimiques s'était traduit par une baisse de revenus pour la compagnie d'oléoduc par rapport à ce qui avait été prévu au moment de l'établissement de la formule des frais de transport entre les parties.

A50. À la majorité, la Cour a confirmé que la compagnie de produits chimiques ne constituait pas un « membre du public » pour deux raisons : (1) ces mots ne peuvent pas décrire une société et (2) du fait que la compagnie n'était pas un monopole, le texte de loi aurait dû contenir des mots très précis pour donner à l'ABPUC le pouvoir d'annuler un contrat conclu de façon privée entre deux sociétés. Porter, J.A. a donné en partie une opinion dissidente en soutenant que « membre du public » comprenait la compagnie de produits chimiques.

A51. Le Conseil fait remarquer que l'affaire Ajax n'a pas été invoquée dans des causes ultérieures au sujet de la question de service « au public ». De plus, le Conseil estime que la décision de la Cour est propre aux circonstances de cette cause, c'est-à-dire qu'en saisissant l'ABPUC de cette affaire, la compagnie d'oléoduc voulait éviter d'être partie à un contrat qui avait été librement conclu avec la compagnie de produits chimiques et essayait de relever d'un régime réglementaire auquel elle n'était pas normalement assujettie. Or, la STC est une entité réglementée et, contrairement aux faits en cause dans l'affaire Ajax, la STC cherche ici à se soustraire à l'obligation de se conformer à des obligations réglementaires auxquelles elle serait normalement assujettie. En outre, le Conseil estime que l'opinion de la Cour selon laquelle une société ne fait pas partie du public devrait être considérée dans le contexte des faits qui lui ont été présentés, à savoir que la compagnie de produits chimiques était le seul client de l'entité cherchant à relever de la compétence de l'ABPUC. Par contre, dans le cas qui nous occupe, la STC offre des services de télécommunication à une multitude de clients qui comprennent à la fois des personnes et des sociétés.

A52. La deuxième cause que la STC a invoquée est celle de CCH Canadienne Limitée et plus particulièrement la décision de la CSC voulant que la transmission par télécopieur de copies de documents juridiques par le Barreau ne constitue pas une communication au public par télécommunication et n'enfreint donc pas l'alinéa 3(1)f) de la Loi sur le droit d'auteur.

A53. Le Conseil estime que les faits associés à la fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC sont très différents de ceux qui ont abouti à la décision de la Cour dans l'affaire CCH Canadienne Limitée. Le Conseil fait remarquer que cette affaire concernait l'interprétation de la Loi sur le droit d'auteur, dont un des objectifs implicites est d'en arriver à un juste équilibre entre les intérêts des propriétaires de droit d'auteur et les utilisateurs. À cet égard, le Conseil fait remarquer que les destinataires des télécopies en cause dans l'affaire CCH Canadienne Limitée se limitaient à un groupe fermé. Le Conseil fait également remarquer que la décision de la Cour a été précédée d'une autre décision selon laquelle la pratique du Barreau de fournir des copies de documents juridiques constituait une utilisation équitable et ne violait donc pas le droit d'auteur des maisons d'édition.

A54. Le Conseil estime en outre que, si l'affaire CCH Canadienne Limitée sert d'exemple pour la proposition présentée par la STC dans ce cas, on pourrait tout aussi bien soutenir qu'une entreprise de services locaux titulaire qui fournit n'importe quel service de télécommunication à un seul client n'est pas tenue de déposer des tarifs et peut exercer une discrimination injuste. De l'avis du Conseil, cette interprétation ne serait pas conforme à l'intention du Parlement exprimée dans la Loi.

A55. Le Conseil fait remarquer que l'argument de la STC concernant la question du service « au public » est essentiellement fondé sur le fait que, jusqu'à présent, il n'y a eu qu'un seul client de fibres noires intercirconscriptions, soit Axia. Le Conseil estime que la STC lui demande d'adopter une approche essentiellement quantitative pour définir « au public ».

A56. Le Conseil fait remarquer que, selon la jurisprudence pertinente, le sens à donner à l'expression « au public » doit être établi au cas par cas et selon le contexte dans lequel l'expression est utilisée.

A57. En outre, le Conseil fait remarquer que la CSC a rejeté l'adoption d'une approche quantitative pour définir « le public » dans le contexte de l'interprétation de la législation sur les droits de la personne, comme il est précisé dans des causes comme l'affaire University of British Columbia c. Berg [1993] 2 R.C.S. 353 et l'affaire Gould c. Yukon Order of Pioneers [1996] 1 R.C.S. 571. Les tribunaux ont également rejeté l'approche quantitative pour définir le public dans des causes concernant le commerce de valeurs mobilières, comme l'affaire Regina c. McKillop [1972] 1 O.R. 164, et dans des décisions portant sur la radiotélédiffusion, comme l'affaire R. cCommunicomp Data Ltd. [1975] 6 O.R. (2d.) 680.

A58. Tout comme l'approche adoptée par les tribunaux, le Conseil estime que l'on doit interpréter l'expression « au public » de la manière qui s'accorde le mieux avec l'objectif de la Loi et son contexte. De l'avis du Conseil, il serait déraisonnable de conclure que le Parlement a envisagé qu'une entreprise réglementée puisse se soustraire à ses obligations statutaires simplement du fait que les services en question sont fournis à une seule entité. Le Conseil estime que l'interprétation de la STC irait à l'encontre des objectifs de la Loi, selon lesquels une entreprise canadienne doit fournir des services de télécommunication à des taux tarifés justes et raisonnables sans exercer de discrimination injuste ni accorder de préférence indue à quiconque, sauf s'ils font l'objet d'une abstention. À cet égard, le Conseil fait remarquer qu'il n'aurait pas l'autorité légale de traiter les questions relatives aux caractères juste et raisonnable des tarifs et à la discrimination injuste.

A59. Le Conseil estime que cette opinion est renforcée lorsqu'on examine les conséquences de l'interprétation de la STC dans le cadre de son entente avec Axia. Le Conseil fait remarquer que l'entente avec Axia impliquait la fourniture d'un maximum de 19 100 kilomètres de fibres noires, reliant plus de 400 communautés en Alberta, et représentait un élément important du projet Alberta SuperNet établi par le gouvernement de l'Alberta. Le Conseil fait remarquer que le gouvernement de l'Alberta a décidé de structurer le projet de façon à ce que la STC fournisse les fibres noires à un seul client, soit Axia. Toutefois, l'entente aurait pu être structurée de façon à avoir une multitude de clients (p. ex. des municipalités) qui auraient pu conclure elles-mêmes un contrat relativement aux fibres noires en question. Le Conseil fait remarquer que c'est le modèle que le gouvernement du Québec a choisi dans le cadre du programme Villages branchés, qui comportait des objectifs semblables à ceux du projet Alberta SuperNet, notamment permettre aux communautés rurales et éloignées d'accéder aux services à large bande.

A60. De l'avis du Conseil, l'interprétation de la STC équivaudrait à inviter les entreprises à structurer leurs arrangements de manière à se soustraire aux obligations statutaires.

A61. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil estime que la STC a fourni des fibres noires intercirconscriptions au public au sens de la Loi et, ce faisant, a agi comme une « entreprise de télécommunication » et donc comme une « entreprise canadienne » au sens de la Loi.

A62. Compte tenu de ce qui précède, le Conseil conclut que la fourniture de fibres noires intercirconscriptions par la STC relève de la compétence du Conseil.

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